Tous les cloisonnements physiques imagin�s par l�homme depuis la nuit des temps font triste mine devant ce que vient d�envisager l�hyperpuissance am�ricaine. Le 26 octobre dernier, dix jours avant les �lections de mi-mandat, le pr�sident am�ricain George Bush signe la loi 6061 pr�voyant la construction d'une fortification longue de pr�s de 1 125 kilom�tres sur les 3 500 que compte la fronti�re commune entre les Etats-Unis et le Mexique, pourtant li�s par l'Accord de libre-�change nord continental (l�Alena) qui r�unit �galement un troisi�me partenaire : le Canada. Ici, le but n'est pas d'emp�cher l'infiltration terroriste, mais l'arriv�e massive d'immigrants mexicains �valu�s � environ 400 000 chaque ann�e. Les Etats-Unis veulent que les marchandises circulent librement entre les deux pays, mais pas les personnes. Les lignes am�ricaines de d�marcation rappellent � s�y m�prendre le limes, ce syst�me de fortification romain, � but d�fensif et douanier, �tabli tout au long des fronti�res de l'empire pour marquer sa fronti�re avec le monde �barbare�, au sens de peuples ne parlant ni grec ni latin. Le limes am�ricain, lui, n�a pas un caract�re douanier mais d�fensif. Les Am�ricains semblent avoir la m�moire courte. L�histoire de l�humanit� regorge d�exemples de frilosit� souvent r�v�lateurs de fin de r�gne ou de d�cadences des empires : le limes romain pour se prot�ger des barbares, le mur de Berlin, la muraille de Chine. Aujourd�hui, le mur se pr�sente sous plusieurs variantes : cl�tures fortifi�es, sph�res g�ographiques d�endiguement du �tsunami islamique�, nouvelles r�gles r�gissant l��migration, etc. Le mur peut aussi servir � s�parer des classes, des ethnies ou des communaut�s religieuses. Ainsi en est-il du mur isra�lien de s�paration, appel� �cl�ture de s�curit�, qui rappelle les barbel�s de l�apartheid, en Afrique du Sud. Le gouvernement Sharon avait initi� sa construction en 2002 pour se prot�ger des kamikazes de l�Intifadha venant de Cisjordanie. 335 kilom�tres ont d�j� �t� construits (dernier chiffrage officiel, d'avril 2006), soit la moiti� du trac� pr�vu. Pour l'essentiel, il s'agit d'un triple rideau de barbel�s, large de 50 m�tres, avec une route r�serv�e aux patrouilles. Dans les passages urbanis�s, c'est un vrai mur de b�ton qui fait jusqu'� huit m�tres de hauteur. Les murailles de Padoue, la petite ville du nord de l�Italie, �taient en briques roses au XVIe si�cle ; elles avaient �t� construites quand Venise dominait la r�gion, pour prot�ger la cit� contre les offensives de la Ligue de Cambrai r�unissant la papaut�, la France et le Saint Empire. Celles qu�elle vient d��riger depuis le mois d'ao�t dernier, en quelques heures sur une longueur de 80 m�tres, sont en acier gris. Elles servent � isoler un �ghetto� de Tunisiens et de Nig�riens, habitant une ancienne r�sidence universitaire et soup�onn�s de se partager le march� local de la drogue, des quartiers voisins. On envisage �galement de cl�turer Ceuta et Melilla, ces villes enclav�es, pour emp�cher le passage des Africains qui cherchent � rejoindre le Vieux Continent. La Chine envisage, elle aussi, de b�tir une barri�re avec la Cor�e du Nord pour �viter l�afflux des r�fugi�s qui fuient Pyong Yong. Il n�y a pas que les Etats frileux qui se barricadent. Les classes sociales qui les portent reproduisent � leur petite �chelle les m�mes r�flexes. Ainsi en estil du ph�nom�ne des �gated communities�, sorte de �homelands� sociaux pour riches o� des groupes s�enferment, collectivement, dans une zone prot�g�e et gard�e. Aux Etats-Unis, plusieurs millions d'habitants ont choisi de vivre dans ces �communaut�s�. Le r�flexe est �galement d�velopp� ailleurs, jusque chez l�, � deux pas d�Alger, � Moretti et � Club-des-Pins, sous l�appellation peu glorieuse de �r�sidence d�Etat�. Comme si nous vivions sous l�autorit� d�un Etat assi�g�. Naturellement si les hauts dignitaires du r�gime le ressentent et le codifient ainsi, c�est qu�il y a une part de v�rit�. On peut y voir ici une traduction parfaite de la d�finition d�une crise politique chez L�nine : ceux d�en haut ne peuvent plus exercer d�autorit� et ceux d�en bas ne veulent plus de leur autorit�. Paradoxalement, ces cloisonnements se multiplient � volont� � l�heure d�un r�gne sans partage des valeurs de d�mocratie, de droits de l�homme, de globalisation. Dans l�ensemble, sch�matiquement, les barri�res internes sont de nature Est-Ouest et celles qui s�parent l�Empire et ses succ�dan�s des autres Etats � caract�re Nord-Sud. Dans les deux cas, le but est d�emp�cher les pauvres d�aller perturber la qui�tude des riches. Au-del� du d�bat sur leur moralit�, ces diff�rents murs sont loin d��tre efficaces parce qu�ils s�attaquent aux effets et non aux causes des probl�mes qui ont justifi� leur construction. Ils repoussent donc les probl�mes sans leur apporter de solutions. Pascal Boniface* donne une lecture lucide au ph�nom�ne : �Le mur qu�Isra�l �rige, qui, par ailleurs, empi�te sur le territoire palestinien de fa�on ill�gale, pourra peut-�tre dans un premier temps, limiter les infiltrations et les attentats, mais les expropriations qu�il entra�ne, les difficult�s suppl�mentaires qu�il cr�e pour les Palestiniens et la poursuite du conflit vont plut�t nourrir la col�re et accro�tre, � terme, la menace terroriste. Les murs antimigratoires peuvent �tre efficaces, dans un premier temps, en rendant les d�placements plus difficiles. Mais si les in�galit�s �conomiques qui en sont la cause ne sont pas r�duites, les migrants trouveront d�autres voies d�acc�s, quitte � prendre davantage de risques. Les murs et barri�res sont donc de fausses solutions qui entretiennent l�illusion d�une r�ponse � un probl�me auquel on ne s�attaque pas r�ellement. Efficaces � court terme, ils aggravent les difficult�s sur le long terme. Ils constituent un faux-semblant en cr�ant le sentiment dangereux que l�on peut �viter de s�attaquer aux racines politiques des difficult�s dans lesquelles nous sommes plong�s.� Ce constat nuance fortement les propos de Thomas Friedman, le journaliste am�ricain qui vient de publier le bestseller La terre est plate et disponible en France depuis octobre dernier. Friedman d�fend l�id�e que l'abaissement des barri�res aux importations et Internet cr�ent un monde totalement nouveau o� les produits et les id�es circulent infiniment plus facilement qu'autrefois. Il commence son premier chapitre par : �Le 9 novembre 1989. Une nouvelle �re de cr�ativit� : les murs tombent et les fen�tres s'ouvrent (dans les ordinateurs).� Friedman d�lire quelque peu parce que, en ce d�but du XXIe si�cle, nous assistons � un ph�nom�ne concomitant d�ouverture (les fen�tres d�Internet, la libre circulation, des capitaux, des biens et des services) et de cloisonnements (les murs de l�Empire). Comme un signe des temps nouveaux, il y a partout un appel du mur. On le retrouve �galement dans des domaines qui �chappent aux seules contingences s�curitaires. Ainsi en est-il de cette autre variante du cantonnement mise en �uvre sous le vocable de �patriotisme �conomique� qui a pris corps en France, � la fin de l'�t� 2005, apr�s les rumeurs d'OPA de PepsiCo sur les yaourts hexagonaux de Danone, avant de r�appara�tre d�but 2006 avec les menaces du pr�dateur indien Mittal sur les aciers d'Arcelor et celles de l�Italien Enel sur les centrales �lectriques de Suez. Pour Thierry Breton, le ministre de l'Economie, l'offre de Mittal ne refl�tait rien d�autre qu�une �incompr�hension des r�gles de l'�conomie moderne� et elle contredit �la grammaire du monde des affaires�. Pareil pour l'�nergie. Dominique de Villepin lui-m�me annonce, le 24 f�vrier, le projet qui barrera la route � Enel : la fusion de Suez avec Gaz de France, afin de constituer un champion national de l'�nergie. En Allemagne, la reprise par Bayer de son compatriote Schering pour cr�er un champion de la sant� est discr�tement salu�e par Angela Merkel. Ces ph�nom�nes demeurent n�anmoins accessoires au regard d�une lame de fond qui fait table rase de toutes les richesses du monde, y compris de l�Europe, au profit du seul Empire, comme le rachat d'Euronext, la Bourse paneurop�enne, par le Nyse am�ricain. Sur ce point pr�cis, Thierry Breton trouvait, en juillet, que �les actionnaires sont in fine les seuls � d�cider�. Par � actionnaires� , il voulait certainement dire �les Am�ricains�. A. B. * T�moignage chr�tien, 6 novembre 2006.