Ce qu�il y a d�utile dans l�affaire Khalifa doublement jug�e en ce moment, le matin au tribunal de Blida et l�apr�s-midi dans le pr�toire des chroniqueurs (dedans !) et dans les caf�s de la ville, c�est cette inou�e quantit� de fluides de col�re qu�elle lib�re. Un tsunami d�indignations, d�clin�es sur tous les tons, enrobe le tambour des rotatives d�une encre rev�che et la salive envoy�e en postillons sur le zinc. Elle s�cr�te tant d��motion qu�on finit par en oublier les faits, leur port�e, leurs cons�quences, la mani�re dont ils s�ins�rent dans la chaotique histoire de la corruption et de son pendant oblig�, les campagnes contre la corruption, l�une et les autres rythmant la marche de l�Alg�rie depuis l�ind�pendance. Il y a quelque chose de cathartique � une sorte de th�rapie de groupe pour ne pas dire de rokia partag�e par tout un peuple � dans la description de la monstruosit� de la chose. C�est tellement gros, tellement caricatural, ce purin exhum� par l�affaire Khalifa, qu�on ressent comme un soulagement dans la description factuelle de l�inou�. Mais l�inou� en question est-il aussi inou� que �a ? Pas s�r, h�las ! On est bien dans la moyenne nationale. Si les juges, le matin au tribunal, se d�brouillent comme ils peuvent dans les limites qu�ils acceptent qu�on leur pose, les chroniqueurs de r�daction comme de comptoir, eux, triturent comme une p�te � modeler cette sacr�e mati�re vesp�rale. Dans cette presse condamn�e, il faut le craindre, � passer sa vie � se chercher une �me, l�affaire Khalifa offre un ring de plus pour que tout le monde tape sur tout le monde. Pourquoi s�en priver, pardi ! C�est le moment gastronomique au cours duquel les titres vantent la cuisabilit� de leurs f�ves. On aff�te les fl�ches. On les d�coche. On dort en paix jusqu�� la prochaine affaire ? L�ennui, c�est que bien des chroniqueurs ne savent pas trop par quel bout prendre la chose. C�est que tous les bouts sont insanes. C�est un vrai b�ton de purin, cette affaire. Alors, on enfonce des portes ouvertes, ce qui est plus �conomique que de forcer des portes ferm�es. En entendant tout ce qui se dit � Blida, on a honte d��tre alg�rien ? Y�en a ! Pas vous ? Vous avez raison. Ce n�est pas parce que des clampins sans foi ni loi � souvent officiellement d�positaires de l�une et de l�autre pour ne pas dire des deux � souillent la cr�dibilit� de la responsabilit� publique pour des clopinettes qu�il faut rejeter une nationalit� qui n�a rien � voir avec eux. Ces squatteurs de tous les pouvoirs se tapissent dans des strapontins en attendant un retour en catimini, et qui, dans tous les r�gimes, prennent tout ce qu�il y a � prendre, font commerce d��alg�rianit� et vous servent gratis les couplets sur la mani�re la plus d�sint�ress�e d��tre alg�rien. Mais au premier froissement de billet, ils accourent. La col�re ang�lique est cependant la moins ressentie. D�autres chroniqueurs, clients de la boutique adverse qui ont, eux, tout vu, soutiennent que le purin charri� par l�affaire Khalifa n�est pas sp�cifique � l�Alg�rie. Voyez l�Italie, des affaires similaires, il en sort tous les jours. Voyez les Etats-Unis, la France. Pas un Etat, m�me aussi transparent qu�une m�duse sur l�eau, ne peut assurer que le risque de d�tournement est de z�ro. C�est vrai, �a. Partout, il y a des d�linquants en col blanc et au c�ur noir qui essayent de s�accaparer les biens publics. Y a pas de raison que l�Alg�rie en soit dispens�e. Ce qui fait l�originalit� de l�affaire Khalifa, ce n�est pas tant son volume, les sommes d�argent public pr�sum�es avoir �t� vol�es. La singularit� r�side dans l�ampleur de l�affaire, le nombre (des centaines) et la diversit� des personnes impliqu�es. Des ministres en exercice jusqu�� des ramasseurs de balles, des notabilit�s cacochymes aux stars d�un quart d�heure, l�affaire dessine un r�seau art�riel semblable au r�seau sanguin : tout le corps de l�Alg�rie est irrigu� mais l�essentiel des flux se joue entre le c�ur et le cerveau. La t�te est touch�e, cela va de soi. Ce que cette affaire a d�unique, ce n�est pas qu�elle laisse penser qu�il est possible, comme ce fut le cas, qu�une pr�dation gigantesque soit, le moment d�une hypnose factice, c�l�br�e comme une fiert� nationale. L�originalit� de cette histoire est que, en d�pit de ses proportions �tourdissantes (t�as vu comme il vivait, le Moumen !), elle n�est pas le mal. Elle n�en est qu�un sympt�me. Le pays a connu, conna�t et conna�tra des affaires comme celles-l�. C�est la structure m�me de l�Etat, incontr�l� politiquement, qui le permet, et le veut. La seule r�gulation dans ce d�sordre, c�est que des procureurs occultes d�cident, dans la p�nombre des officines, � quel moment il sied de sortir quel dossier. Alors, d�poussi�r�, all�g� de quelques pi�ces, rendu pr�sentable mais rarement cr�dible, on le jette en p�ture � la vindicte publique. L�opinion participe, interpell�e sur le registre moral, � des lynchages politiques souvent soutenus par de vrais dossiers. Mais des �normit�s comme l�affaire Khalifa ne sont possibles que dans la mesure o� on les a soigneusement mijot�es avant de pousser les dindons de la farce � la faute. Les chroniqueurs, dans les journaux ou sur le zinc, qui temp�tent contre le fait qu�on �pingle Khalifa pour mieux maquiller d�autres d�linquants du syst�me, d�litent, eux aussi, cet ang�lisme dont on ne sait pas si c�est un id�alisme ou une c�cit�. Du purin, il n�y a que �a ! Tout d�pend du moment de le sortir. Il n�y a ni � s�enorgueillir ni � en avoir honte. Il y a juste qu�il faut combattre le mal, pas ses sympt�mes.