Il a fait scanner les photos, les six photos. Il les a fait imprimer sur une feuille 21x27. L�impression est m�diocre, les images un peu floues, les couleurs pas nettes, le type d�impression que peut se permettre, en plusieurs exemplaires, un simple travailleur. Pas riche. Il a indiqu�, en arabe et en fran�ais, le nom et l��ge de chacun des six jeunes hommes : Sabouni Fay�al 25 ans ; Bouzghaba Sa�f Eddine 20 ans et qui pr�parait son bac ; Hamidi Karim 32 ans ; Soltani Ouahid 26 ans ; Khanouch Ali 23 ans ; Benstouh Mounir 28 ans. Le plus jeune 20 ans. Le moins jeune 32 ans. Parmi les six, son fils. Son propre fils, sa chair et son sang. Il parle sans v�h�mence, sans passion, il veut juste �tre pr�cis, p�dagogue. Il a �t� secouriste en mer, il sait donc de quoi il parle. Bon, d�accord : on a retrouv� la barque, les six sont tomb�s en mer, mais six corps ne disparaissent pas en mer comme cela. Les corps d�rivent avec les courants et les courants ram�nent toujours les corps. Il sait que son fils et ses cinq compagnons ont p�ri noy�s au large des c�tes alg�ro-tunisiennes. Impossible qu�ils s�en sortent vivants. Mais dans cette zone il n�existe pas de grands pr�dateurs marins qui auraient d�vor� les naufrag�s, pas de requins ni d�autres esp�ces de ce genre. Il a entrepris des d�marches aupr�s des autorit�s pour r�cup�rer les corps, il a vu du c�t� des autorit�s tunisiennes. Rien, et il a tellement besoin de donner � son fils un dernier bout de cette terre d�Alg�rie, une tombe qu�il peut nettoyer, une tombe � qui parler, une oreille pour ses pri�res et les mots qui lui viennent � la bouche pour ce fils qu�il n�a pas vu pr�parer ce d�part. Dans sa recherche des morts, il n�a pas re�u d�aide de cet Etat qui n�a pu offrir un bout de ciel � son fils, un bout de r�ve, un d�but d�esp�rance, l�id�e que cette terre est aussi sa patrie. Alors il a pris sur lui d�imprimer les photos, de mettre les noms et de courir les r�dactions. On ne sait jamais, peut-�tre que si les journaux en parlaient, l�Etat alg�rien serait oblig� de se bouger pour les morts, lui qui refuse de le faire pour les vivants. Je n�ai pas voulu entendre la suite, ni d�o� il venait, ni d�o� est partie la barque. Juste dans ma t�te, l�image qu�au moment o� il se battait pour un dernier regard � son fils mort et aux autres, Belkhadem pr�sentait son programme devant l�APN. Il n�aura pas un mot pour ces harragas ni pour les longues cha�nes pour les visas, pas un mot pour cette h�morragie qui vide notre pays de nos jeunes, de nos techniciens, de nos cadres, de nos comp�tences, de notre s�ve. Pas un mot. Et une loi qui alourdira, pour le pays, ce silence des citoyens, dans lequel la mort devient pr�f�rable � la vie en ce pays.