L�ann�e 1992 commen�a sur une immense incertitude. La r�publique �tait s�rieusement mise � mal par le fondamentalisme islamiste gargantuesque incarn� par le Front islamique du salut (Fis) qui, � l�issue du premier tour d�une �lection l�gislative, raflait la majorit� parlementaire. Un homme, septuag�naire, vaillant r�volutionnaire, lorsqu�il fallait lib�rer le pays du joug colonial mais aussi de s�opposer, apr�s l�ind�pendance, � la dictature �rig�e en mode de gouvernance, s�engagea et mit toute sa conviction dans une op�ration de sauvetage. C��tait Mohamed Boudiaf. Sofiane A�t Iflis Alger - (Le Soir) - Rien ne pr�sageait en cet hiver bouillonnant d�agitation islamiste multiforme d�un retour de Mohamed Boudiaf au pays, encore moins de ce qu�il aura � assumer comme haute responsabilit�. Boudiaf, qui, en 1979, � la mort du pr�sident Houari Boumediene, dissout le Parti de la r�volution socialiste (PRS) qu�il fonda et pr�sida depuis septembre 1962, coulait des jours d�entrepreneur � Kenitra, au Maroc. Il �tait propri�taire d�une briqueterie. Il avait pour ainsi dire rompu totalement les amarres avec la politique et l�activit� partisane depuis plus d�une d�cennie. R�volutionnaire aguerri et patriote convaincu, celui qui alluma avec d�autres compagnons les m�ches qui allaient d�toner en novembre 1954 ne r�sista pas cependant � l�appel de la patrie. Il fut de retour au pays le 14 janvier 1992, soit trois jours apr�s que le pr�sident de la R�publique de l��poque, Chadli Bendjedid, eut annonc� sa d�mission en direct � la t�l�vision. Sa mission fut de loin des plus d�licates. Il devait urgemment, dans un quasi-vide institutionnel � l�Assembl�e nationale populaire fut dissoute le 4 janvier � coupl� � une ins�curit� de plus en plus grandissante, �viter au pays une d�rive vers le chaos int�gral et refonder, par la suite, le socle pour une r�publique �mancip�e durablement de la pr�dation int�griste. Intronis� officiellement � la t�te du Haut-Conseil de l�Etat (HCE) le 16 janvier, Mohamed Boudiaf devait faire avec les contraintes qu�impose une direction coll�giale mais aussi avec l�extr�me hostilit� que lui t�moign�rent promptement les trois fameux Fronts, le Front islamique du salut (Fis), le Front de lib�ration nationale (FLN) et le Front des forces socialistes (FFS). Arm� de courage et surtout de conviction, Mohamed Boudiaf ne d�sarma pas face � l�adversit�. A une jeunesse rong�e par le d�sespoir, il sut parler franc, juste, mais aussi, ce qui peut-�tre dessina sa r�ussite, situer des destinations visibles. Son discours rompait brutalement avec le surdosage d�magogique qui fut le propre du la�us officiel. Il discourait dans un style qui plaisait, dans un langage accessible, compris de tous et sur un ton qui ne souffrait nullement de la pusillanimit� politique dans laquelle ont eu � s�illustrer ceux qui, de pr�s ou de loin, �taient impliqu�s dans la gestion des affaires de l�Etat. On le surnomma affectueusement �Tayeb El Watani�, tant il rassurait par son engagement � soustraire le pays aux griffes des islamistes et aux app�tits voraces de ceux qu�il d�signa par �mafia politico-financi�re�. S�il s�attaqua aux islamistes radicaux, il ne se consacra pas pour autant exclusivement � ce seul front de lutte. Il mit autant d�abn�gation � combattre l�hydre islamiste int�griste qu�� tailler un corbillard pour la mafia politico-financi�re. Il savait pertinemment sa mission p�rilleuse mais il ne marqua nulle h�sitation. Se pouvait-il chez celui qui en 1947 fut membre important de l�Organisation secr�te (OS), en mars 1954, membre fondateur du CRUA et le 22 octobre de la m�me ann�e, membre de l�historique groupe des 22 ? Forg� donc dans l��preuve r�volutionnaire et par le militantisme politique, Mohamed Boudiaf, n� en 1919 � Ouled Madi, dans la wilaya de M�sila, a, au hasard des contingences politiques, recrois� � nouveau le destin de la Nation. Il r�ussit en moins de six mois � �tendre le rail sur lequel cheminera le train d�mocratique. Il lui a fallu pour cela de solides convictions politiques. Il avait la perspective claire. Ce qui l�aida grandement dans sa mission. Cependant, si son engagement a �t� d�un apport incommensurable pour le salut r�publicain, il lui a, par ailleurs, �t� fatal. Il d�rangeait trop d�int�r�ts bien assis. Ce qui lui co�ta la vie, un certain juin 1992. A Annaba, au moment o� il pronon�ait un discours retransmis en direct par la t�l�vision. Il �tait en plein dans la structuration d�une assise partisane : le Rassemblement patriotique national (RPN). La commission mise sur pied pour enqu�ter sur son assassinat conclut � un acte isol� du lieutant du GIS, Lembarek Boumarafi. Cette conclusion n�a pas convaincu grand monde. Boudiaf mort assassin�, son projet de soci�t� devait fatalement conna�tre le m�me sort. Dix-huit ans apr�s, la r�publique qu�il sauva du p�ril islamiste se retrouve mise en demeure de se faire cl�mente � l�endroit des nervis en kamis. Le pouvoir d�signe cela par le vocable de r�conciliation nationale.