Dans notre pays la scolarisation des enfants est obligatoire, et pourtant la r�alit� est tout autre. Combien sont-ils � avoir quitt� les bancs de l��cole avant la fin du cycle primaire et dans le meilleur des cas celui du moyen ? Aussi peu nombreux soient-ils, cela para�t inacceptable en ce d�but de troisi�me mill�naire. A quelle couche sociale appartiennent-ils ceux qui � l��ge de sept, huit, neuf, douze, treize ou quinze ans n�ont plus le statut d��l�ve ? Pour les avoir entendus, observ�s autour des march�s ou � Trig El Oued, le march� populaire, vendant des sacs en plastique, nous r�pondrons sans h�sitation que leurs parents sont d�munis. C�est aussi le cas des nombreux douars visit�s. Dans ce type de localit�s, c�est souvent la fille qui paie le tribut, �tre victime de l�irresponsabilit�. A qui la faute ? Les parents ne doivent pas �tre les seuls � �tre montr�s du doigt. Les pouvoirs publics ont aussi leur part de responsabilit�. Somme toute, c�est une d�mission collective tant du c�t� parental que du c�t� des APC ou du secteur de l��ducation. Ce ph�nom�ne a surtout pris de l�ampleur lorsque l�ins�curit� �tait totale dans ces douars d�peupl�s alors � la merci des terroristes. Des enfants sacrifi�s Le d�placement des populations vers la ville a g�n�r� une perturbation voire une privation d��cole. La priorit� �tait manifestement ailleurs chez certains parents, plus pr�occup�s par le g�te o� leur prog�niture �tait sacrifi�e, puis il y eut cette phase de repeuplement des zones d�sert�es au d�but des ann�es 2000. Pour avoir parcouru le territoire de la wilaya de Mascara, nous avons souvent constat� que les premi�res dol�ances des habitants �taient de voir rouvertes les �coles, longtemps abandonn�es. Elles ont rouvert leurs portes pour la plupart d�entre elles au niveau des douars les plus recul�s de la wilaya qui en compte plus de 500. Ce qui a pu �tre r�habilit� en ce qui concerne les �coles l�a �t� alors que de nombreux CEM ont �t� r�alis�s pour mettre fin au calvaire des enfants contraints de parcourir des distances �reintantes pour atteindre leur �tablissement en l�absence de ramassage scolaire. Il y eut l�affectation de bus scolaires qui ont constitu� un soulagement m�me si parfois ils ne sont pas utilis�s rationnellement ou tout simplement � d�autres fins, et ceci au gr� de ceux qui en ont la charge. A ce propos, nous avons � maintes reprises entendu des gamins interpeller le premier responsable de la wilaya � la faveur de son d�placement dans ces contr�es. Nous avons aussi vu des enfants parcourir � pied le chemin qui les s�pare de leur �cole avec ce fardeau qu�est de nos jours le cartable. L�auto-stop est la seule alternative pour d�autres et ne vous �tonnez pas quand vous voyez une ribambelle d�enfants � l�arri�re d�un camion. Il n�y a pas de quoi pavoiser. Au fil des ann�es, les choses se sont pourtant graduellement am�lior�es. Que ce soit du c�t� des monts de Beni Chougrane (Mohammadia) � Ouled Bally et sa p�riph�rie (Oued El Abtal) � Anatra (Chorfa), Djeba�lia (Bouhannifia) ou du c�t� de Aouf ou Beniane, on a fait du fonctionnement des �coles la priorit� des priorit�s, c�t� pouvoirs publics, m�me si l�on a d� repousser � plus tard la r�ponse � d�autres attentes citoyennes. Dans certaines �coles et face au nombre peu �lev� d��l�ves, on dispense des cours pour deux, voire trois niveaux dans une m�me classe. La dotation des �coles en cantines a suivi pour bon nombre d�entre elles. Malgr� tout, on continue � relever des cas d��l�ves en rupture avec l��cole. Des victimes de l�absurdit� En ce d�but de mois et lors d�une journ�e pluvieuse alors que nous nous trouvions � Hamar, dans la commune de Matmore, un jeune gar�on attire notre attention. Il est en sandale et la curiosit� le fait approcher du cort�ge officiel. Du haut de ses onze ans, il r�pondra au wali qu�il n�allait plus � l��cole et qu�il l�avait quitt�e depuis quelques mois. Ce dernier s�adressant au P/APC exigera que l�on fasse en sorte qu�il y retourne. Dans la m�me journ�e, un cas similaire a �t� enregistr� � Ghriss. Cette fois, il s�agit de Bachir, �g� de 15 ans, que nous retrouverons dans des haltes successives de cette sortie de travail. Sachant que nous �tions � la recherche de tels cas, c�est un gendarme qui nous le montre. Ce gamin de 15 ans est orphelin de m�re et de p�re. Ce dernier �tait facteur, nous dit-il. Il a arr�t� sa scolarit� en troisi�me ann�e primaire. �Je vis avec mes fr�res et s�urs et nous sommes trois � avoir quitt� l��cole�, nous fait-il savoir. Au moment de nous s�parer, il nous lance cette phrase avec �motion : �Je regrette aujourd�hui d�avoir quitt� l��cole.� Nous continuons � rechercher ces enfants qui ont interrompu leur scolarit� et ce jeudi 15 mai, nous nous trouvons � Rema�kia, commune de Hachem, o� vivent environ 3 000 �mes. Aux limites d�un champ, nous abordons la petite Fatma qui tient un b�ton � la main. Vas-tu � l��cole ? lui demandons-nous. Non, r�pondra-t-elle avec un air d�sol�, et se retourna en nous indiquant les moutons. Je les garde confie-t-elle. Pourquoi ? C�est mon p�re qui ma demand� de ne plus aller � l��cole. Et pourtant l��cole se trouve � proximit� de chez elle. La condition de journalier du p�re peut-elle expliquer ceci ? C�est le cas plus loin de Sihame, 12 ans, qui a fr�quent� l��cole au douar El Bordj et arr�t� sa scolarit� en premi�re ann�e. �J�arrivais en retard�, tente-t-elle d�expliquer. Au douar El Kadi, elle n�est apparemment pas la seule puisqu�un gar�on nous parle d�autres, en nous lan�ant : �celles-l� aussi ont arr�t�.� Nous nous retrouvons avec cinq fillettes autour de nous. L�une d�elles nous pose cette question : �Pourquoi vous nous demandez tout cela ?� Toujours dans ce hameau, la petite Fa�rouz nous regarde avec un air innocent. Elle incarne parfaitement la victime de l�absurdit�. Sihame, 10 ans, dira : �Je n�ai jamais �t� � l��cole.� Quand nous sommes all�s vers ces enfants, Djilali �tait le premier cas que nous avons rencontr� et beaucoup d�autres d�fileront devant nous pour se faire entendre. Lui doit avoir 11 ans environ et a quitt� les bancs de l��cole en troisi�me ann�e. Il ne conna�t m�me pas son �ge. Les contraintes souvent �voqu�es par ces jeunes enfants sont l��loignement ou l�impraticabilit� des chemins communaux qui les ont pouss�s par le pass� � d�serter l��cole. Des mesures seront prises � Ouled Bellil Le douar Gouadih, o� vivent 35 familles environ, n�est pas exempt de ce genre de situation. Il se trouve aux limites des fronti�res avec la wilaya de Tiaret, et c�est l� que nous sommes assaillis par des parents qui revendiquent une �cole pour leurs enfants. Nous ne connaissons pas cette localit� de Ouled Bellil ou Hdjar qui est rattach�e � la commune de Takhmaret, dans la wilaya de Tiaret, et des habitants nous avancent que 100 familles y vivent. Ici, quelle est la situation des enfants ? Apparemment des laiss�s-pour-compte. Un bambin, fils de fellah, nous apprend qu�il va � l��cole mais les intemp�ries ne le permettent parfois pas. L��cole est situ�e, selon ses d�clarations, dans un lieu nomm� Serkla. L�on nous parle de l�oued que les enfants sont contraints de traverser et il n�y pas de bus scolaire, du moins c�est ce qui ressort des t�moignages recueillis. Ils veulent tous se faire entendre. Comme Hanane, 9 ans, elle a habit� avec ses parents � Zelamta puis est revenue � Hdjar. Elle n�a jamais �t� � l��cole et elle nous murmure : �J�ai envie d�y aller pour apprendre, mais mon p�re ne veut pas que j�y aille seule.� A c�t� d�elle un gar�on intervient : �On nous dit souvent que les gar�ons et les filles�� Pas besoin de vous faire un dessin sur l�attitude des parents. Miloud, Abdellah, Mustapha, Mohammed et Chahra sont des enfants pour qui l��cole est finie malgr� eux. La particularit� de cette localit� est qu�elle est plus proche du CEM de la wilaya de Mascara, soit 14 km que celui situ� dans la commune � laquelle sont rattach�s les citoyens, en l�occurrence Takhmaret. Ceux qui le fr�quentent nous exposent leurs difficult�s relatives au transport quand ils rentrent chez eux le jeudi ou rejoignent l��tablissement le samedi. Nous sommes des internes, nous dira l�un d�eux. Quel sera le sort de ces enfants qui ont quitt� le primaire et n�ont pu aller jusqu�au terme du cycle moyen ? Quel sera celui de tant d�autres ? A ce propos, le ministre de l�Education avait annonc� r�cemment devant les directeurs du secteur que des mesures seraient prises pour enrayer ce ph�nom�ne avec une coordination APC-�ducation et que des poursuites judiciaires pourraient m�me �tre envisag�es. Pour le salut des enfants, esp�rons que ceci ne restera pas un v�u pieux.