Lors des festivit�s d�Abalessa qui se sont d�roul�es du 23 au 25 f�vrier, un seul ethnomusicologue a �t� invit� � intervenir sur l�importance de la transmission du patrimoine musical. Jo�o Soeiro De Carvalho, chercheur et professeur � l�universit� nouvelle de Lisbonne, au Portugal, a choisi de livrer aux participants de ce rendez-vous une vision nouvelle de l�utilit� du patrimoine � travers les �ges. Une vision sans critique et probablement peu habituelle avec les clich�s de la conservation et de la sauvegarde du patrimoine. L��volution en est la base. Et la jeunesse, l�instrument privil�gi� pour esp�rer une continuit� dans la sauvegarde du patrimoine immat�riel. Jo�o Soeiro De Carvalho nous a livr� dans un entretien son d�sir de voir perp�tuer cette tradition sans barri�re. Pour cet ethnomusicologue, il n�est pas question de construire un mur de protection autour de l�imzad. Les jeunes ne pourraient le franchir. Des recommandations, l�expert portugais n�en pr�conise qu�une seule, celle de laisser l�imzad poursuivre son chemin dans le temps en esp�rant voir des innovations et les cr�ations le conduire tr�s loin dans l�universel. Une perspective int�ressante dans la mesure o�, lors de notre passage � Tamanrasset, nous avons eu � constater l�int�r�t croissant des jeunes pour la guitare �lectrique. Des sonorit�s nouvelles pour des textes anciens. Un m�lange exclusif qui percute de plein fouet l�atmosph�re solennelle cr��e par et autour des joueuses de l�imzad ou ceux de l�ahelil du Gourara. Dans le d�sert, la culture innove et cr�e l��v�nement, notamment � l�occasion de notre derni�re soir�e. A Oued Abalessa, une sc�ne a marqu� les esprits. Dans un geste spontan� mais qui brise tous les tabous, un joueur de l�ahelil a simplement invit� une chanteuse de djakmi � danser. Samira Hadj Amar JO�O SOEIRO DE CARVALHO A PROPOS DE L�IMPORTANCE DU PATRIMOINE IMMAT�RIEL �La musique n�appartient � personne� Propos recueillis par Samira Hadj Amar Le Soir d�Alg�rie : Comment s�est faite votre rencontre avec l� imzad? Jo�o Soeiro De Carvalho : J'ai �t� invit� � une conf�rence � Lisbonne au Portugal sur la musique au Sahara, c'est l� que j'ai rencontr� Farid Ighil Ahriz, directeur de l'Office national du parc de l'Ahaggar qui m'a invit� � venir � Tamanrasset. Je pense que c'est une chose tr�s importante pour tous les pays du monde, pas seulement l'Alg�rie, le Mozambique ou le Maroc� qui ont des probl�mes de ce genre ou lorsqu'ils pressentent qu'il y a quelque chose qui est en train de dispara�tre dans la musique. J�ai trouv� l� une bonne opportunit� pour produire une r�flexion sur ce th�me et c'est ce que j'ai fait � l'occasion de la premi�re �dition des festivit�s de Abalessa. Une opportunit� que vous avez saisie pour aborder une vision nouvelle de l�importance du patrimoine musical. Peut-on en savoir plus ? J�ai une vision qui n'est pas traditionaliste du tout � ce propos. C�est plut�t une vision sans critique. C�est � dire que lorsqu'on parle de changement dans la culture on a deux grandes possibilit�s : soit on adopte une approche traditionaliste, et on se cantonne � ce qu'il y a et on essaie de conserver pr�cieusement, ou alors on adopte une vision sans critiques, et c'est ce que j'ai choisi. Je crois que la culture doit changer. Elle doit �voluer avec la perspective historiographique que l'on a d�velopp�e du XVIIIe, XIXe et XXe si�cle o� l'on a d�couvert que tout allait �tre perdu. Parce que la culture changeait. Un �tat de fait tr�s dangereux pour la culture humaine. C�est une d�couverte nouvelle. Une invention nouvelle qui rien � voir avec le romantisme, avec l'histoire qui est une id�e traditionaliste puisque jamais auparavant on s'en est pr�occup�. Alors, pourquoi voulez-vous qu'au XXe si�cle, on trouve que le changement est anormal ? Du coup, il faut pr�server, pr�server, pr�server� Je ne comprends pas, il faut laisser la culture �voluer. Toute l'histoire de l'humanit� est une histoire de changement en permanence. Comment voulez-vous laisser la culture �voluer � partir du moment o� elle se perd � l'image de l' imzad? L�histoire de l'humanit� a toujours �t� une histoire de perte. Si on perd l' imzad alors tant pis. Maintenant, nous nous avons une responsabilit� nouvelle � cause de cette histoire. Cependant, il faut absolument la documenter : c'est ce qu'il y a de nouveau ! L�enregistrer, l'�tudier, l'�crire� s'il existe des gens qui l'�tudient et la jouent, tant mieux. S�il y en a pas, c'est l� toute l'histoire de l�humanit�, l'histoire de la culture, �a s'arr�te l� ! Il y a des choses qui disparaissent et d'autres qui se cr�ent ou sont produites... Mais nous, nous avons la responsabilit� de ne pas perdre cette m�moire m�me si personne ne la perp�tue. Comment perp�tuer cet art ancestral ? La meilleure forme de la perp�tuer, c'est de la laisser changer. C�est pour cela que j'insiste sur le concept de l'exp�rimentation. Parce qu'� travers ce processus vous trouverez toujours des jeunes. Parce qu'il s'agit toujours de jeunes qui veuillent exp�rimenter l' imzadpar exemple, le bouleverse avec des instruments anciens, des textes nouveaux et des m�lodies anciennes. Voil� comment l' imzad peut �tre sauv� de l'oubli. Les jeunes peuvent avec leur �nergie redonner vie a ce patrimoine. Forcer, esp�rer qu'il y aura toujours de vieilles dames qui joueront de l' imzad n'est pas r�aliste. �a n'arrivera pas ! M�me les jeunes filles qui �tudient l' imzad� l'�cole ne vont pas le faire de la m�me mani�re. Elles vont innover, introduire de nouveaux sons. Elles n'auront jamais la m�me relation avec l' imzad que les anciens. Il ne suffit pas de leur demander de jouer de l'imzad. C'est pour cette raison que je crois qu'il faut absolument exp�rimenter l' imzad, proportionner l'exp�rimentation avec ce qu'on appelle le patrimoine avec ses volets mat�riels, ses instruments, ses m�lodies, ses textes et surtout avec les jeunes : c'est l� la meilleure fa�on de le sauvegarder. Ne croyez-vous pas qu�� force de changements l� imzad risque de dispara�tre ? J�admets que l' imzad va changer. Les choses traditionnelles vont changer parce qu'au final tout change. J�ai aussi essay� de trouver des chemins pour tout cela avec ce mod�le que j'ai pr�sent� en quatre �tapes. Est-ce l� les exigences de l�Unesco � partir du moment o� un budget est octroy� ? Non pas du tout. Je l'ai constat� � partir de mon exp�rience. C�est au Mozambique que je l'ai appris. Parce que nous avons eu un projet traditionnel sur trois niveaux. �a n'a pas march� parce qu'il n'y avait pas de jeunes. �a ne l'ai pas du tout int�ressait. Ces histoires de patrimoine c'est pour les vieux, pas pour nous, voil�. A partir du moment o� ils ont trouv� de nouvelles sonorit�s, ils ont essay� d'exp�rimenter avec des documents que nous avons proportionn� : ils ont fait leur propre musique, c'est exclusif, c'est �a leur patrimoine. Quel est votre sentiment par rapport au patrimoine immat�riel en Alg�rie ? Je crois qu'il faut entourer les jeunes, en particulier dans le domaine immat�riel. Si l�on n�y arrive pas alors il faut oublier, notamment si les institutions ne suivent pas. On ne va pas pr�server les documents parce que cela pr�serve la m�moire, �a n�est pas suffisant. En soit ce n�est pas une solution pour parer aux probl�mes de sauvegarde. C�est � peine une dimension de la protection du patrimoine. L�autre dimension, en parall�le, demeure en l�animation. Entourer les jeunes et surtout les amener � s�y int�resser. Justement comment amener ces jeunes � s�y int�resser sans faire grincer des dents les plus r�ticents des conservateurs ? Il y a maintes mani�res de le faire. L��cole par exemple. Ou plus encore leur proposer le 4e niveau qui est l�exp�rimentation. Vous savez, cette transformation �tait consid�r�e comme normale dans le pass� et personne ne s�y pr�occupait. Cela explique par exemple la disparition d�une partie du r�pertoire de la musique andalouse qui ne compte aujourd�hui qu�une douzaine de noubates. Ne pensez-vous pas qu�aujourd�hui ce patrimoine qu�est l� ahelil du Gourara ou l� imzad n�int�resse finalement que les chercheurs ou les touristes ? Oui. J�ai effectivement cette impression. M�me les m�dias, les nationaux� ne s�y int�ressent pas vraiment. Ce sont des choses pour l�Unesco ou les touristes. �a touche de pr�s le folklore ou plut�t le pittoresque. C�est aussi comme �a au Mozambique et au Portugal. Lorsque je vois ces gens invit�s � d�couvrir l� imzad, je n�appr�cie pas vraiment ce comportement de dramatisation th��trale. Ces joueuses de l� imzad, toute leur vie, elles ont introduits des changements, des innovations. Elles l�ont fait et maintenant elles doivent se limiter � ce qui est conserv�. Il y a l� un mythe. Un mythe que vous �tes en train de r�duire � n�ant ? Oui, bien s�r. Je vous le disais tout � l�heure encore. Il s�agit de le conserver pas de le tuer. La culture arr�t�e est une culture morte. Alors je ne veux pas �tre l�assassin de l� imzad. Ce que je souhaite pour l� imzadest qu�il s�utilise selon l�inspiration du moment. Laissons-le compl�tement parce que personne n�en est le propri�taire, pas m�me l�Unesco. La musique n�appartient � personne. Il faut surtout que l�on continue � la faire. Il n�existe pas de lois pour d�terminer comment la faire. Et l� imzad n�est pas une exception, elle est comme toute autre musique. Alors s�il y a des jeunes qui la jouent autrement, c�est encore mieux. C�est la musique ! Mais si elle doit dispara�tre, personnellement, je trouverais cela triste en revanche, je ne conseillerais a personne d�en faire parce que simplement �a m�int�resse. C�est cela toute l�histoire des cultures.