Je n�ai plus revu l�ancien territoire d�Allemagne de l�Est depuis ao�t 1978 o� j�y avais s�journ� pour les besoins d�un reportage, publi� dans El Moudjahid, sur les premiers convois d��migr�s alg�riens dans ce pays. Un pied-de-nez du pr�sident Boumediene � l�ancienne puissance coloniale qui commen�ait � chasser notre communaut� �tablie chez elle depuis des lustres. Pour ce retour, qui mieux que le Dr Neugebauer pour me remettre sur les traces du pass� ? Le Dr Gera Neugebauer est professeur de sciences politiques � l�Universit� libre de Berlin. Sa sp�cialit� : les partis uniques et plus particuli�rement celui de l�ex- RDA, le SED (Parti socialiste unifi� d�Allemagne). Sa vieille exp�rience de la question du SED depuis les ann�es 1970 � dont les nombreuses parent�s ou filiations avec le n�tre ne sont, au demeurant, pas n�gligeables � lui donne � mes yeux un int�r�t particulier. A ce titre, plus proche de nous, il est un observateur incontournable �des r�formes et de l��volution des mentalit�s� depuis la chute du mur de Berlin. Une expression qu�il utilise pour pr�ciser qu�il s�int�resse aux partis politiques �non pas comme appareils, mais comme expressions soci�tales �. Comment peut brusquement s�effondrer un syst�me entier, avec son administration, son arm�e, sa police secr�te, son parti unique et ses organisations de masse tenant d�une main de fer la soci�t� � et quelles incidences cela peut-il avoir sur le cours de la vie ? En posant cette question, je pensais � notre jeune exp�rience de nation en qu�te de ses humanit�s : comment peut-il arriver que tout un syst�me parte en ruine sans qu�il y ait une seule goutte de sang vers�e, alors que, pour une maudite �lection des centaines de milliers de morts ont p�ri chez nous ? Le Dr Neugebauer refuse d�accorder aux partis et mouvements d�opposition un r�le d�terminant dans cet effondrement. Les plus hardis d�entre eux r�clamaient, au plus, une r�forme de la RDA socialiste. Aussi, faut-il chercher l�explication ailleurs : dans le retrait de la main protectrice de l�ex-URSS (� Qui arrive trop tard est puni par la vie �, disait Gorbatchev dont 500 000 soldats �taient stationn�s en ex-RDA), les pressions occidentales, notamment autour des droits de l�homme, et l�arriv�e du bloc de l�Est � bout de souffle et de course dans sa comp�tition avec le syst�me occidental (l�ampleur des d�penses militaires requises par la course aux armements �tant assur�e au d�triment du bien-�tre des populations a rendu l��conomie exsangue). De l�h�ritage de la RDA, il ne reste aujourd�hui au sens �troit qu�un Parti communiste de 4 000 membres, au sens large une nouvelle gauche (Die Linke regroupe l�ancienne �lite de service dans une coalition avec la gauche de la social-d�mocratie) fr�tillante mais peu influente, des partis un peu plus � gauchisants � dans la zone est et, tenez-vous bien� un mus�e DDR o� on peut se retremper dans l�univers socialiste le temps d�une visite. Les biens et le patrimoine de l�ancien parti unique financent la Fondation pour la recherche sur la dictature du SED � � Assumer son histoire �, dit son mot d�ordre � � hauteur de 70 millions d�euros. Entre 1992 et 1998, deux commissions d�enqu�te du Bundestag, le Parlement allemand, ont pass� au peigne fin l�histoire du SED et ses cons�quences sur l�unit� allemande. Au terme de ses travaux, le Bundestag adopte, le 5 juin 1998, une loi portant cr�ation de la Fondation pour la recherche sur la dictature du SED afin de stimuler et d�encourager durablement le d�bat sur ce qu�on appelle un peu par exc�s �la seconde dictature allemande � (apr�s celle du nazisme). �En collaboration avec d�autres institutions, la Fondation contribue � une analyse approfondie des causes, de l��histoire et des cons�quences de la dictature en zone d�occupation sovi�tique et en RDA. Elle aspire � garder la m�moire de l�injustice du r�gime du SED et de ses victimes et � encourager et consolider le consensus anti-totalitaire au sein de la soci�t�, la d�mocratie et l�unit� allemande �, est-il �crit dans les statuts de la Fondation. Pour le reste, le syst�me politique de la RDA a �t� pour l�essentiel �ject� dans un processus � d�int�gration et d�assimilation �. L�Allemagne de l�Est reste cependant, dans l�ensemble, plut�t r�tive � la vie des partis : sur les 550 000 adh�rents du SPD 520 000 sont de l�Ouest. L�aversion � la politique a pour corollaire des salaires plus bas, des retraites plus faibles, une forte d�sindustrialisation, des pertes massives d�emplois et un ch�mage plus �lev� � l�Est. La seconde puissance �conomique du bloc de l�Est a �t� r�duite en cendres. Il faut dire que la division socialiste directive du travail qui organisait les pays membres du Comecon (le march� commun de l�Est), n�a pas favoris� l�innovation en dehors de rares secteurs de pointe, comme l�industrie optique (o� reste encore Karl Zeiss Iena). Faute de concurrence et de comp�tition, confront�es � la dure r�alit� des march�s, les industries de l�Est n�ont pas fait le poids. Les diff�rences sont �galement mentales, culturelles et m�me le temps libre est diff�remment d�pens� � l�Est. Pour le d�put� Stefan Hilsberg, � cela nourrit ressentiments, pr�jug�s et r�serves contre la d�mocratie. La d�mocratie recouvre une part de solidarit� et d�altruisme, mais aussi d�action qu�on retrouve rarement � l�Est �. On ne se d�barrasse pas du socialisme, m�me bureaucratique, comme d�une vieille chemise. Il souffle sur l�Est un vent de nostalgie. Un sondage d�opinion r�cemment effectu� indique que 50 % de la population trouve aujourd�hui que le socialisme n��tait pas si mal que �a et qu�il �tait simplement mal mis en pratique, alors que 5% de la population souhaitent carr�ment recr�er l�ex-RDA. Dans l�ensemble, assure un t�moin, � la population d�Allemagne de l�Est a du mal � reconna�tre que l�ancien mod�le de gouvernement de la RDA �tait dictatorial et ne correspondait pas � une vision d�mocratique �. C�est l�expression de ce qu�on appelle ici � l�ostalgie �, la nostalgie de l�Est. La sympathie populaire va encore aux cha�nes de t�l� qui pr�sentent encore des films de l�ex-RDA. La culture du souvenir intervient comme un filtre adoucissant et participe � enjoliver l�ancien tableau. Certes, les ic�nes du socialisme, comme Marx, Liebknicht ou Rosa Luxembourg n�ont plus de villes, de villages ou de grands boulevards pour les sacraliser, comme par le pass�, mais elles ont toujours � Berlin une rue ou une place � leur nom. Il est vrai que le nombre de victimes de l�ancien syst�me semble d�risoire : un des grands chefs de la Stasi a b�n�fici� d�un nonlieu du tribunal et seuls 120 � 125 jugements ont �t� prononc�s par les tribunaux contre d�anciens fonctionnaires soup�onn�s de tortures et de s�vices contre des victimes. Celles-ci ne sont alors pas nombreuses � percevoir une pension bien symbolique de 280 euros le mois pour avoir �t� emprisonn�es. �L�ancien chef de la Stasi, un appareil terrifiant de 190 000 agents, per�oit une retraite plus confortable�, t�moigne-t-on. Le tableau est complexe : on se plaint de ce qu�on a perdu sans ignorer les b�n�fices du nouveau. Ce vent de nostalgie � l�Est se conjugue avec des confusions �normes � l�Ouest o� des �tudes effectu�es en 2000 indiquent que les �l�ves des �coles allemandes savent tr�s peu de leur histoire apr�s la Seconde Guerre mondiale, que 30% d�entre eux pensent que le mur de Berlin avait �t� �rig� par les Am�ricains et que Willy Brandt �tait secr�taire g�n�ral du SED, le parti est-allemand ! Il faut dire que la d�marche adopt�e � l�endroit de l�ancien territoire de l�Est tend � �viter les � soup�ons de colonialisme�, susceptible d�accr�diter la th�se d�une justice ou d�un droit du vainqueur. Pourtant, l�effort financier consenti pour la mise � niveau du territoire est colossal : 140 � 170 milliards d�euros sont, bon an mal an, d�pens�s � ce titre. Et ce n�est pas fini : le Pacte de solidarit�, financ� par les taxes, n�expirera que dans dix ans. Cet effort autorise le Dr Neugebauer � envisager l�existence d�un syst�me �conomique, social et culturel commun. � Un seul peuple ? Non. Un seul Etat ? Oui. Et ce n�est pas si mal que �a. Cela donne de la diversit�. �