Dans une conf�rence donn�e le 21 septembre dernier � l�Universit� nationale autonome du Mexique (Mexico), Noam Chomsky s�attaque au mythe Obama et � la politique �trang�re �tats-unienne( * ) . L'espace r�serv� � cette chronique ne permet d'en donner que les grandes lignes. Rappelant certains fondamentaux en mati�re de politique �trang�re, il propose de garder � l�esprit deux premiers : - primo, la maxime de Thucydide : les forts agissent tel qu�ils le veulent, et les faibles souffrent tel qu�ils le doivent ; - secundo, le principe �nonc� par Adam Smith : les �architectes principaux� de la politique anglaise �taient les marchands et les fabricants, lesquels s�assuraient que leurs int�r�ts personnels �taient bien servis par la politique, quelles qu�en soient les cons�quences n�fastes sur les autres (y compris sur le peuple anglais). Le premier principe a pour corollaire imm�diat, peu reluisant pour les hommes de l�esprit, que les Etats puissants s�appuient sur des sp�cialistes de l�apologie, plus couramment appel�s �intellectuels�, qui remplissent, �avec habilit� et bonne conscience, quelle que soit l�incongruit� de leurs d�clarations�, la t�che de d�montrer que �les actions des forts sont nobles et justes et que si les faibles souffrent, c�est de leur faute�. Au chapitre du second principe, Noam Chomsky estime que la �maxime de l�histoire� revient � Adam Smith qui est �l�une des rares figures de son temps � s��loigner de la pratique consistant � d�crire l�Angleterre comme un pouvoir ang�lique unique dans l�histoire mondiale et se consacrant avec altruisme au bien-�tre des barbares�. John Stuart Mill, �l�un des intellectuels occidentaux les plus intelligents et respect�s �, avait, pour sa part, �nonc� la �norme culturelle � : il militait pour que l�Angleterre poursuive sa conqu�te de l�Inde � de pures fins humanitaires, au moment o� elle y commettait �ses pires atrocit�s �. Qu�est-ce qui a chang� depuis Thucydide, Adam Smith ou John Stuart Mill ? La r�ponse � cette question tient � une formule : �Th�orie d�investissement des politiques �. Elabor�e par l��conomiste politique Thomas Ferguson, elle soutient que �les �lections sont des occasions pour des groupes d�investisseurs de s�allier afin de contr�ler l�Etat, fondamentalement en achetant les �lections�. Ferguson y voit m�me un moyen id�al de projection dans l�avenir. �Aux Etats-Unis, ce sont les concentrations de capital priv� qui approuvent les candidats, et pour ceux qui passent ce filtre, les r�sultats sont quasi d�termin�s par les sommes d�pens�es pendant la campagne.� Quant aux deux partis en lice, ils �devraient �tre consid�r�s comme des factions concurrentes du parti unique des affaires�. Et ce dernier est fondamentalement celui d�un monde des affaires et de la politique r�guli�rement �hostile aux march�s et � la d�mocratie, sauf en cas d�avantages temporaires �. Il reste toutefois � trouver le meilleur moyen pour acheter des �lections. C�est la mission d�volue � l�industrie des relations publiques qui s�est d�velopp�e il y a un si�cle de cela dans les pays les plus libres, l�Angleterre et les Etats- Unis, �l� o� les luttes populaires avaient arrach� assez de libert� pour que le public ne puisse facilement �tre contr�l� par la force�, pr�cise Chomsky. En 2008, le prix d�cern� par l�industrie publicitaire pour la meilleure campagne marketing a �t� remport� par Obama� devant Apple. Les cadres politiques �taient euphoriques : �C��tait leur plus grand succ�s depuis qu�ils avaient commenc� � vendre des candidats comme ils le font pour du dentifrice et des m�dicaments branch�s.� Dits par Noam Chomsky, ces rappels prennent du sens. Abordant le �moment unipolaire�, sujet d�un grand nombre de discussions universitaires et populaires depuis l�effondrement de l�Union sovi�tique il y a 20 ans, il fixe la fa�on dont Washington a r�agi � la disparition de son ennemi mondial. Quelques semaines apr�s la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis ont envahi le Panama. Un premier pr�texte fut imm�diatement donn� � cette agression : la menace des narcotrafiquants hispaniques et la �guerre contre la drogue�, pourtant longtemps auparavant initi�e par Nixon pour d�tourner l�attention d�une opinion publique hostile � la guerre du Vietnam. Cela �tait n�anmoins insuffisant � construire une id�ologie de l�hyper-puissance . L�Administration de Bush-p�re exposa le nouveau cap de Washington : �En bref, tout restera comme avant, mais sous de nouveaux pr�textes.� Soudainement, la menace sovi�tique est remplac�e par �des puissances du tiers-monde � dont la nocivit� justifierait une base industrielle de haute technologie de d�fense soutenue par l�Etat. De m�me, que la nouvelle hyper-puissance devait maintenir des forces d�intervention pour les r�gions du Moyen- Orient riches en �nergie. Il restait � trouver un nouvel habillage � cet h�g�monisme. Les �lites intellectuelles annonc�rent une �r�volution normative� qui accordait aux Etats-Unis le droit d��intervention humanitaire� ou le concept, plus affin�, de la �responsabilit� de protection�. Une responsabilit� exerc�e de �mani�re extr�mement s�lective�. A-t-on besoin de conserver toute l�armada nucl�aire du pass� pour si peu d�ennemis ? Bush p�re avait promis que l�Otan deviendrait une organisation plus politique. Clinton a �largi l�Otan � l�Est, Bush junior a surench�ri et Obama a, apparemment, l�intention de poursuivre cette expansion. Alors qu�Obama entrait en fonction, Condoleezza Rice pr�dit qu�il suivrait les politiques du second mandat de Bush, et c�est en gros ce qui s�est pass�, �hormis un style rh�torique diff�rent qui semble avoir charm� beaucoup de monde, peut-�tre gr�ce au soulagement d� au d�part de Bush�. Lors d�une conf�rence de l�Otan, le secr�taire g�n�ral, Jaap de Hoop Scheffer, indiquait que les troupes de l�Otan doivent surveiller les ol�oducs de gaz et de p�trole � destination de l�Occident� et, plus globalement, prot�ger les routes maritimes emprunt�es par les tankers et les autres �infrastructures cruciales� du syst�me �nerg�tique. Au c�ur des sources d�approvisionnement, l�existence de l�Iran fait fausse note � d�autant qu�elle ambitionne, elle aussi, de d�roger � la nouvelle �r�volution normative�. La r�ponse fut un r�ajustement des syst�mes antimissiles US d�interception en Europe de l�Est, dont l�objectif est d��emp�cher toute repr�sailles en cas d�attaques am�ricaine ou isra�lienne sur l�Iran, c�est-�-dire �liminer toute dissuasion iranienne �. Dr�le de monde que celui que nous r�serve donc la �r�volution normative � d�essence n�olib�rale. L� encore, rien n�a chang� depuis la derni�re pr�sidentielle am�ricaine. Bush et ses sbires traitent le monde et les autres Etats comme leurs �lieutenants � : �Ainsi, en annon�ant l�invasion de l�Irak, ils inform�rent l�ONU qu�elle pouvait suivre les ordres am�ricains ou �ne plus avoir de raison d��tre�. Une telle arrogance a bien �videmment suscit� de l�hostilit�. Obama a choisi une autre m�thode : il re�oit les dirigeants et les peuples du monde poliment, en tant que �partenaires�, et c�est seulement en priv� qu�il continue � les traiter comme des �lieutenants� �. Les r�sistances les plus marquantes au nouvel h�g�monisme viennent d�Am�rique latine o� d�heureux d�veloppements se produisent : �Ces d�veloppements en Am�rique latine, parfois men�s par d�impressionnants mouvements populaires de masse, sont d�une grande importance. Ils suscitent bien �videmment des r�actions am�res de la part des �lites traditionnelles, support�es par la superpuissance voisine. Les obstacles sont immenses mais s�ils sont surmont�s, cela pourrait changer de fa�on significative le destin de l�Am�rique latine et entra�ner de v�ritables cons�quences ailleurs.� A. B.