Le chef de la confrérie musulmane Mohamed Badie, a été arrêté dans la nuit de lundi à mardi aux côtés de Khairat al-Chater et Rachad Bayoumi, deux hauts dirigeants du mouvement, près de la place Rabaa, au Caire, devenue le centre névralgique de la contestation après la destitution de l'ex-président Mohamed Morsi, le 3 juillet, et où des centaines de pro-Morsi ont été tués la semaine dernière. Au cours de la journée d'hier, les autorités ont annoncé le transfert de Badie à la prison de Tora. Cette arrestation constitue un gros coup de filet pour les autorités égyptiennes ainsi que pour la justice qui avait émis un mandat d'arrêt pour «incitation à la violence» contre Mohamed Badie, le 10 juillet. Le leader des Frères musulmans doit être jugé à partir du 25 août avec cinq autres cadres ainsi que plus d'un millier de manifestants favorables à Morsi. Toutefois, loin de vouloir céder le pas à ses adversaires, la confrérie islamiste, créée il y a 85 ans, a nommé dès hier un chef par intérim, Mahmoud Ezzat, 69 ans, afin qu'il remplace temporairement leur guide suprême. Les Frères musulmans, soucieux de minimiser l'impact de cette arrestation sur le moral de leurs troupes, ont déclaré que «M. Badie n'était qu'un individu parmi les millions qui s'opposent au coup d'Etat». Le jeu trouble d'Israël Jusqu'ici, aucun officiel israélien ne s'est exprimé publiquement au sujet de la crise qui secoue l'Egypte. Toutefois, le quotidien Jerusalem Post, dans son édition de lundi, a interrogé un haut fonctionnaire qui, sous le sceau de l'anonymat, a révélé qu'«Israël estime qu'il faut soutenir l'armée égyptienne dans son épreuve de force avec les Frères musulmans pour leur permettre de remettre leur pays en marche». Selon ce responsable, «il ne faut rien retirer aux militaires, ne pas leur nuire, ni les menacer», faisant ainsi allusion à un éventuel gel de l'aide américaine annuelle de 1,5 milliard de dollars (dont 1,3 milliard d'aide militaire) à l'Egypte. Il est à rappeler que l'Egypte, présidée par l'ex-raïs, était le meilleur allié d'Israël dans la région et, aujourd'hui, Israël craint aussi pour sa sécurité. C'est dans ce but qu'il va tenter de convaincre l'UE et les USA de ne pas prendre de mesures de rétorsions. Ces déclarations conforteront certainement le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan qui a affirmé, hier, «qu'Israël se trouvait derrière la destitution du président Mohamed Morsi». M. Erdogan a étayé sa thèse en affirmant qu'avant les élections de 2012, qui ont conduit au pouvoir les Frères musulmans, alors qu'il se trouvait à un forum en France, le ministre israélien de la Justice et un intellectuel juif (allusion à BHL) ont fait savoir que «même si les Frères musulmans remportent les élections, ils n'en sortiront pas vainqueurs, car la démocratie ne repose pas sur les urnes». Les chancelleries occidentales montrent leurs limites Les violences qui ont émaillé le pays depuis six jours ont fait plus de 800 morts essentiellement parmi les partisans de l'ex-président et ont provoqué une vive préoccupation de nombreux pays et organisations dont l'UE qui tiendra, aujourd'hui, à Bruxelles, une réunion exceptionnelle au niveau des ministres des Affaires étrangères des 28 pays-membres. Les chefs de la diplomatie de l'UE «examineront les options possibles en vue de réagir à l'aggravation de la crise de ces derniers jours et dans le but de tenter d'éviter une guerre civile», selon un responsable. Ces derniers devront examiner les différentes options proposées, au premier rang desquelles l'arrêt ou la suspension d'une partie des aides financières ou des accords dans le domaine de la sécurité. Les présidents du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et de la Commission, José Manuel Barroso, avaient déjà prévenu, dimanche, que l'UE pourrait «réexaminer ses relations avec l'Egypte si les violences se poursuivaient». En novembre dernier, l'UE a approuvé un programme d'aide financière de 5 milliards d'euros à l'Egypte pour la période 2012-2014, dont 2 milliards à la charge de la Banque européenne d'investissement et 2 milliards à celle de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. L'UE pourrait aussi menacer de suspendre un accord d'association remontant à 2001, qui comprend notamment des protocoles de libre-échange sur certains biens industriels et des accords préférentiels sur les transactions agricoles. De leur côté, les Etats-Unis ont reconnu leurs limites dans la résolution du conflit. Face aux critiques croissantes dont fait l'objet l'administration américaine pour ne pas sanctionner plus sévèrement la répression en Egypte, notamment en suspendant l'aide militaire. Retour en grâce de la diplomatie saoudienne Puisque les donateurs occidentaux conditionnent l'octroi d'une aide à l'arrêt de la répression, l'Egypte se tourne vers ses voisins du Golfe. Le chef de la diplomatie saoudienne a rappelé à cet égard le soutien indéfectible de son pays. L'Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis ont déjà annoncé, le mois dernier, une aide financière de 9 milliards d'euros. De son côté, le Qatar, pourtant soutien de M. Morsi, essaye de se repositionner afin de devenir un médiateur de la crise et c'est dans ce sens qu'il a envoyé, il y a quelques jours, une deuxième cargaison gratuite de gaz naturel liquéfié. Ainsi, selon certains observateurs, suspendre l'aide financière fait surtout du tort à la société civile, ce qui s'avèrerait contre-productif pour ramener la paix et la stabilité. Aussi, selon eux, ce serait toute la diplomatie occidentale du bâton qui montrerait rapidement ses limites car, à force de brandir des menaces, l'Europe et les Etats-Unis perdent du terrain diplomatique au profit des puissances du Golfe.