Le fil conducteur de La frontière invisible, un ouvrage signé Alice Cherki et paru en octobre 2008 aux éditions Crépuscules, traite de l'exil, de la place de l'étranger, de l'exclusion au féminin et du déni de l'altérité.L'auteure axe sur les problèmes d'actualité à forte résonance sur la vie des individus et des peuples, soumis aux grandes douleurs. Alice Cherki a compartimenté son ouvrage en plusieurs parties («Altérité de l'origine», «Enfants de l'actuel», «L'inconscient et le politique», «Exclusion au féminin» et «Algérie, une autre façon de dire»). Psychiatre et psychanalyste, elle a appréhendé dans cette réflexion de plusieurs années, forte de son expérience politique et de sa pratique psychanalytique, la question de l'origine et les méfaits de l'identité. Enfant du pays, elle a pris comme point de départ à son idée la colonisation, la France, l'Algérie et l'immigration. Ce qui l'a entraînée dans une problématique de l'après-coup traumatique, à la suite des guerres et des divers génocides qui se sont déroulés au XXe siècle. La colonisation a laissé des traces profondes Cette histoire tourmentée, meurtrie, coloniale donne lieu de s'interroger sur les conséquences, les individus de ces violences collectives. Comment les descendants des conflits et de la colonisation perçoivent-ils ces cruautés, ces sévices et ces atrocités ? C'est ce point nodal de l'exclusion, du déni de la différence de l'autre et de la honte qui recentre le débat de ce travail de recherche. Les violences coloniales et les guerres de décolonisation ont laissé des traces profondes de chaque côté de la Méditerranée, traces d'autant plus profondes que le silence les a recouvertes d'une complicité partagée. Cette histoire coloniale se heurte toujours à la «silenciation» de l'histoire officielle, malheureusement écrite à partir d'un point d'origine. Or ces morceaux d'histoire déniés vont rester ancrés dans plusieurs générations. Ce qui n'a pu être reconnu et symbolisé revient chez les descendants sous des formes qui vont de l'errance psychique aux productions délirantes. Ces «silenciations» donnent lieu à la construction de frontières hérissées comme des murs, aussi bien sur le plan géographique que psychique. Ces frontières se referment constamment et les impasses subjectives qui en découlent conduisent à des dérives, telles que le recours à des identités fixes et immuables, et à la croyance en une origine originelle à laquelle il suffirait de se soumettre. Cette position fait le lit de l'intégrisme, dit-elle, pour mieux comprendre ce phénomène propre à ce type de société ayant connu les barbaries coloniales, les totalitarismes et les intégrismes. L'auteure prolifique a déjà à son actif divers ouvrages, dont Le retour de Lacan et Les juifs d'Algérie. Ayant côtoyé et travaillé avec Frantz Fanon en Algérie en sa qualité de psychiatre, elle a écrit une magnifique œuvre sur ce personnage hors du commun dans un livre éponyme. Un livre intéressant à lire avec circonspection pour bien comprendre les grandes souffrances, les dérélictions des individus à la suite des génocides et des guerres.