La théorie du ‘umran chez Ibn Khaldoun, voilà un titre intéressant et à grande portée politique et sociologique de la société maghrébine qui vient de paraître à l'Office des publications universitaires (OPU). Cet ouvrage de Djamel Chabane apporte un éclairage sur les études du grand penseur et père de la sociologie. Ces études qui restent d'actualité touchent à différents domaines que nous vivons jusqu'à présent. Ibn Khaldoun est devenu une référence dans plusieurs universités à travers le monde, néanmoins souvent ignoré par les pays arabes. Ce livre aborde des questions d'actualité qui se rapportent à l'urbanisme. C'est sur El Muqaddima, œuvre principale d'Ibn Khaldoun, que s'appuie Djamel Chabane pour parler de la cité. Dans cet ouvrage, Ibn Khaldoun retrace l'histoire de la civilisation maghrébine du XIVe siècle et témoigne de sa complexité, sur le plan technique, du savoir ou des formes de gouvernement. De son analyse ressortent deux concepts qui sont 'umran, qui signifie le phénomène humain, la civilisation… et asabiya (esprit de corps) qui permet à un groupe humain organisé de se reproduire. Djamel Chabane aborde cette étude en s'appuyant aussi sur l'archéologie, car il estime que cette discipline est le meilleur instrument possible pour reconstituer le passé. «Celle-ci doit être à la fois une ethnologie et une histoire (...) Ces nomades s'enrichissent et deviennent par la suite des poltrons, soucieux uniquement de leur bien-être. (...) L'archéologie est l'étude du passé humain à travers les monuments, c'est-à-dire à travers la mémoire matérielle.» L'auteur s'appuie essentiellement ici sur les deux principaux ouvrages d'Ibn Khaldoun, Kitâb Al 'ibar et El Muqaddima. Il apporte une approche critique sur certains auteurs qui ont mal compris Ibn Khaldoun et qui limitent sa pensée à ce qui suit : «Ibn Khaldoun opposerait fondamentalement, pour asseoir toute sa conception de l'évolution historique, deux groupes humains : les nomades et les sédentaires. Les nomades seraient les seuls fondateurs d'Etats en raison de la vigoureuse solidarité qui lierait, les uns aux autres, tous les membres de la tribu.» En profitant de ces acquis, ces nomades s'enrichissent et deviennent par la suite des poltrons, soucieux uniquement de leur bien-être. «Une autre tribu nomade, formée d'hommes rudes et solidaires, l'emporterait, fonderait un nouvel Etat qui serait promis à la même évolution que le précédent et ainsi de suite.» Djamel Chabane explique à propos de 'umran (urbanisme), que la pensée d'Ibn Khaldoun est très voisine de celle développée en Europe à la fin du XIXe siècle. Ibn Khaldoun est toujours d'actualité Il fait également référence à l'ingénieur espagnol Fonco Cerdà (1816-1876), qui annonce l'ère de la communication universelle. Il élabore un métalangage pour désigner un ensemble d'éléments de l'urbain que le langage n'a pas su découper ou que les désignations courantes ont recouvert de connotations diverses et qu'il importe de pouvoir regarder avec l'œil non prévenu du savant. Une réflexion d'Ibn Khaldoun qui reste d'actualité est la suivante : «La ville, une fois construite et achevée selon les vues du fondateur et les exigences cosmiques et terrestres (bimâ iqtadat'hu al ahwâl as samâwiyya), aura la même durée que l'Etat.» Il ressort alors de cette étude que «la cité reflète le pouvoir de la dynastie». L'auteur relate l'histoire du Maghreb pour situer le sociologue et l'historien Ibn Khaldoun dans son contexte. A propos de 'umran, Ibn Khaldoun disait : «La civilisation de 'umran hadhari marque le plus haut degré du progrès qu'un peuple peut atteindre : c'est le point culminant de l'existence de ce peuple et le signe qui en annonce la décadence.» Le progrès décisif En guise de constat, l'auteur de cet ouvrage estime qu'aujourd'hui toute tentative de retour aux sources ou de réactivation de la pensée et des arts de l'islam doit commencer par compter avec le progrès décisif. L'auteur dit alors que «la philosophie du 'umran n'est ni une simple esthétique, ni un culte, ni une mode, conception qui vise à gagner une nouvelle intégrité dans notre existence d'homme». Djamel Chabane est né en 1964 à Tichy (Béjaïa). Il a un diplôme d'architecte d'Etat, un diplôme d'études approfondies en histoire de l'art islamique de la Sorbonne, un doctorat en anthropologie et sociologie politique. Il est actuellement enseignant et chercheur en architecture à l'université de Tizi Ouzou. Djamel Chabane, dans son ouvrage La théorie du l'umran chez Ibn Khaldoun, propose une nouvelle lecture qui peut être utile non seulement aux chercheurs et aux étudiants, mais aussi à tous ceux qui s'intéressent à la culture. Selon cette analyse, «la réflexion politique qui ne s'appuie pas sur une étude positive de la réalité du pouvoir ne peut être exhaustive ni démonstrative. Seule la science du 'umran peut dévoiler la nature du pouvoir et guider l'action politique». Ce livre, qui se caractérise par son approche originale, peut susciter un débat, notamment en cette période cruciale que traverse l'Algérie.