La consommation de psychotropes sous leur forme liquide ou solide (en comprimés) est en nette augmentation en Algérie. Bien que personne ne soit en mesure d'avancer des chiffres qui rendraient compte de l'étendue de cette consommation, à elles seules, les statistiques des saisies effectuées par les forces de sécurité sont éloquentes : 924 000 interceptions en 2008. Cette drogue de synthèse, cataloguée «drogue dure» par les professionnels, est à l'origine un médicament prescrit pour traiter de graves maladies ou des dépressions, comme le Rivotril ou l'Exomil, détournés de leur vocation curative. Mais le plus prisé et le plus disponible sur le marché algérien demeure le Rivotril, un puissant antiépileptique dont le comprimé est cédé à 300 dinars «partout sur les places publiques et chez les dealers», témoigne le psychiatre Bouchene. Ces revendeurs se procurent ces produits selon toute vraisemblance auprès des hôpitaux, des grossistes, des médecins spécialistes ou des pharmaciens «amis» ou se fournissent directement de France. «Les psychotropes, ou du moins les médicaments utilisés par les toxicomanes, sont devenus des produits quasi-courants. D'ailleurs, nous autres psychiatres ou neurologues, évitons au maximum ces prescriptions de peur de voir détournées nos ordonnances», affirme le psychiatre. Outre la dépendance tant physique que psychique que ces substances provoquent, leurs effets sur la psyché et sur l'organisme des consommateurs «qui cherchent à atteindre le nirvana» sont dévastateurs. «Lors des premières prises, ils ressentent du bien-être, voire de l'ivresse. Ensuite, il y a destruction de la conscience, et inhibition du sur-moi, des conventions sociales. Mais à long terme, le consommateur est, sans en avoir conscience, prêt à tout et finit par ‘‘passer à l'acte'' qui se traduit par l'homicide ou le suicide. Il en résulte également de nombreux phénomènes comme la violence juvénile, l'agressivité des jeunes et d'autres actes extrêmes», analyse-t-il. Ce qui vaut d'ailleurs à la petite pilule le surnom de «Madame courage» chez les jeunes Algériens. Coïncidence ou non, la consommation de psychotropes est la plus répandue dans l'est du pays, particulièrement à Annaba qui connaît aussi de fréquentes vagues de harraga. Selon M. Sayah, cette augmentation est due «à la rareté du cannabis qui, grâce aux contrôles de plus en plus rigoureux et aux quantités saisies, est de moins en moins disponible dans ces régions. En manque, les jeunes se rabattent alors sur ces substances», pourtant beaucoup plus nocives et entraînant une plus forte accoutumance. De même, en plus d'être devenu «un produit de consommation courante» chez un nombre croissant de jeunes, il a aussi été relevé une nette augmentation de ce type de drogue «dans le milieu féminin». Ainsi, de plus en plus de jeunes filles sont attirées par la facilité de prise de cette drogue et sa discrétion, ainsi que par les promesses de bonheur, ô combien trompeur et éphémère, qui cède la place, après dissipation des premiers effets, au plus profond des désespoirs.