Nouvelle culture fraîchement installée dans le paysage national, le phénomène des crédits à la consommation, plus communément appelés les crédits aux particuliers, évolue à un rythme effréné, entraînant dans ses flots une bonne communauté bancaire et plus d'un million et demi d'emprunteurs. C'est un marché de plus de 3 milliards et demi de dollars que s'évertuent à se partager les 13 établissements de crédits sur les 27 banques que compte la place bancaire nationale. Les chiffres en croissance étonnante témoignent de cette propension à l'endettement facile des ménages et se résument, selon les experts avertis, par une conclusion inquiétante qui indique que deux travailleurs sur cinq sont endettés pour une durée moyenne de 3 à 5 ans. L'autre vérité que renvoie cet état des lieux confirme la tendance connue et reconnue qui place l'Algérie en véritable marché de consommation, même si cela pourrait représenter, dans une certaine mesure comme le laissent observer des économistes, un témoin de richesse et d'aisance d'une population forte d'un certain pouvoir d'achat. Les pouvoirs publics viennent justement de donner l'alerte sur l'autre revers de cette médaille et tentent d'anticiper sur les risques accrus en matière de surendettement des ménages. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, l'avait clairement indiqué : «Le crédit aux particuliers devra être encadré et une centrale des risques en matière d'impayés sera lancée à titre préventif.» Mieux encore, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, s'est montré plus incisif et a fait clairement savoir que dans ses aspects actuels cette forme de crédits qui s'offrent aux ménages algériens sont de nature à contribuer non seulement au surendettement mais sont en plus destinés à soutenir des politiques d'emplois à l'étranger sans contrepartie ni autre bénéfice pour l'économie domestique. Il regrettera que ces crédits portent essentiellement sur des produits importés encourageant par prolongement une dépendance plus prononcée aux flux importés au détriment de la production nationale. L'éveil des pouvoirs publics est d'autant plus motivé que même les banques qui se sont lancées tous azimuts sur fond et «fonds» de concurrence, à travers une gamme de crédits taillés sur mesure pour des particuliers en quête de produits de confort ou de biens d'équipement tels les véhicules, se sont retrouvées piégées dans leur élan face à l'apparition non annoncée d'un certain nombre d'impayés qui exprime la difficulté de certains emprunteurs à honorer leurs engagements. Ces impayés que l'on cherche à dissimuler Universellement, il est admis que le taux d'alerte est de l'ordre de 6% en matière d'impayés. En Algérie, il est déjà de l'ordre de 5%, affirment des sources bancaires même si au niveau de l'Abef (Association des banques et établissements financiers) l'inquiétude réelle n'est pas vraiment à l'ordre du jour. C'est-à-dire que ce niveau de «déchets», comme se plaisent à l'appeler les professionnels pour qualifier les non-remboursements, est de nature à interpeller toute la communauté associée dans ces mécanismes de crédits sur la nécessité de marquer une trêve et de reconsidérer la critériologie d'accès aux financements. La trêve est d'autant plus indispensable que même si ce sont les pouvoirs publics qui la recommandent à demi-mot, les banques, elles, de leur côté voient leurs chiffres de non-remboursement évoluer en sens ascendant et secret bancaire oblige, se refusent à communiquer sur ces paramètres. Dans cette architecture où l'assise repose sur un revenu salarial de l'emprunteur, la vulnérabilité du système est plus que jamais flagrante dans la mesure où la déconnexion et l'absence des échanges d'informations entre les organismes de crédit accentuent le flou et entretiennent les risques de surendettement. La centrale des risques ou plutôt centrale des impayés qui devra être sous contrôle de l'autorité monétaire, en l'occurrence la Banque d'Algérie, n'en est qu'au stade des balbutiements et ne connaîtra son efficacité que si elle est fidèlement renseignée par les acteurs du crédit qui ne sont pas toujours enclins à la transparence. Incitation à l'endettement Comme preuve de dérive et de «provocation» à l'endettement, le marché a vu se déployer une gamme de formules de crédits présentés comme des kits prêts à l'emploi et souvent emballés avec des doses savantes de marketing qui ne laissent pas insensibles à la tentation de s'endetter. Les établissements de crédit ont rivalisé en moyens de séduction allant jusqu'à occuper des espaces privilégiés au sein même des show-room aménagés par les concessionnaires automobiles où le client n'a plus que l'embarras du choix pour trouver le financement qui réponde au mieux à ses attentes. Une démarche de proximité qui a bien payé tant elle reste innovante et judicieusement menée par ces acteurs de crédit qui ont été rattrapé par les besoins de consommation la où ils s'expriment. Dans les crédits automobiles, le financement global oscille entre 1 milliard et 1 milliard et demi de dollars. Les crédits de confort, ceux destinés aux achats de biens domestiques, tels l'ameublement et autres équipements électroménagers sont de l'ordre de près de 300 millions de dollars, selon les experts interrogés, contre quelque 1,8 à 2 milliards de dollars pour le secteur de l'immobilier. D'ailleurs, s'il faut relever que la banque Al Baraka Algérie s'est illustrée dans ce segment en s'inscrivant comme leader dans le financement des particuliers, et ce, grâce à l'engouement des emprunteurs, notamment séduits par des crédits dits hallal, abolissant la notion de taux d'intérêt substitueé par la formule de «taux de marge», conformément à la loi islamique, cette banque s'emploie à reconvertir son investissement dans l'immobilier. En clair, elle ambitionne de s'inscrire en droite ligne avec les préoccupations de l'heure en privilégiant les crédits aux particuliers pour la branche immobilière. A noter qu'elle a décidé récemment de revoir à la hausse ses conditions d'accès aux prêts automobiles en portant le salaire du candidat à hauteur de 32 000 DA. Un bon verrou qui dénote de la prise de conscience. De son côté, Cetelem semble adopter une attitude de silence radio puisqu'elle a même déserté certains espaces sans explication et a, du jour au lendemain, sensiblement révisé toute sa politique de financement. Ses ardeurs ont été d'autant tempérées que son effacement remarqué est en train de susciter les plus folles supputations. Il est vrai que selon les experts, cet organisme a financé plus que ses moyens ne le permettent et aujourd'hui ses difficultés à se refinancer commencent à se faire sentir. Comme quoi, même l'établissement acteur actif dans le crédit peut tomber dans ce risque de «surfinancement».