Brahim Ghali a zappé l'Eucoco pour aller prendre la température dans cette région où l'armée de la RASD et les soldats du Maroc se regardent en chiens de faïence. «La situation est explosive», commente la direction du Polisario à Barcelone. Eclairage. Alors que la 41e Conférence des comités européens de soutien et de solidarité avec le peuple sahraoui (Eucoco) s'est ouverte hier à Vilanova, de la Giltru, dans la banlieue de Barcelone, le cœur est, lui, là- bas, dans les territoires libérés où l'armée sahraouie est sur le pied de guerre. Tout le monde pensait que l'absence du président de la RASD, Brahim Ghali, à l'ouverture de l'Eucoco, allait être le sujet brûlant après le coup tordu d'une association de «félons» sahraouis jouissant des nationalités marocaine et espagnole qui avait déposé plainte contre lui pour «génocide». Mais ici, la direction du Polisario fait très peu cas de cette «machination ourdie par des fêlons soutenus par le makhzen pour chahuter le succès de l'Eucoco». L'absence du président Ghali est presque un non-événement du fait «qu'il n'est pas tenu d'être ici d'abord ; et puis les enjeux sont plutôt sur le terrain où la tension est à son paroxysme», confie Khatri Edouh, président du Conseil national sahraoui, qui assure la direction des travaux de cette Eucoco. En effet, ce numéro 2 du front Polisario nous apprend que le président Ghali est «aux avant-postes depuis hier justement à Guerguarat» où est stationnée la IIIe région militaire sur la face de l'atlantique. Haut gradé de l'armée sahraouie, Brahim Ghali a tenu à se déplacer lui-même sur le front en compagnie d'un escadron pour apprécier la situation sur le terrain. «Vous savez, ce qui nous inquiète le plus, c'est ce qui se passe à Guerguarat. Le déplacement du président là-bas est un signe que la situation y est très tendue entre nos militaires et les soldats marocains, alors que les éléments de la Minurso sont désarmés», révèle Khatri Edouh, d'un ton grave. L'ambassadeur de la RASD à Alger, Bouchraya Bayoum, n'en pense pas moins. «Il y a juste 120 m qui séparent nos soldats et ceux du Maroc à Guerguarat ; ça peut déraper à tout moment. La situation y est très inquiétante… C'est un contexte explosif», lâche le diplomate sahraoui. Et d'ajouter : «vous comprenez maintenant l'impératif du déplacement du président Ghali dans cette région où il suffit d'une étincelle pour que le corps-à-corps s'engage». Tension maximum Cette peur et cette inquiétude d'une confrontation armée à Guerguarat sont en tout cas très perceptibles ici à Barcelone. La direction du Polisario qui encadre cette Eucoco a tenu un long conclave dans la nuit de jeudi à vendredi. A la fin, les têtes pensantes sortaient de la réunion visiblement inquiètes des derniers développements sur le terrain. Il était 1 heure du matin quand Mohamed Sidati, Khatri Edouh, Bouchraya Bayoum et leurs collègues, représentants dans tous les pays européens, ont quitté la salle, téléphone mobile à l'oreille. Et quand les journalistes les interrogeaient sur les thèmes de l'Eucoco ou encore l'absence du président Ghali, ils esquissaient un sourire forcé, façon de signifier que leurs préoccupations sont ailleurs qu'à Vilanova. Même le très posé Mohamed Sidati, l'un des cerveaux du Polisario, avait la mine défaite. Entre trois courtes conversations téléphoniques dans lesquelles il alternait l'espagnol, le français et l'arabe, il affichait un air grave devant les journalistes. «Nous sommes très préoccupés par ce qui se passe à Guerguarat…», dit-il. Le corps à Barcelone, le cœur à Guerguarat C'est dire qu'une atmosphère pesante règne sur cette 41e Eucoco, qui coïncide avec le décès du défunt président Mohamed Abdelaziz. Il y a un sérieux risque que les armes brisent cette fois le silence de la communauté internationale face au déni du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. «Vous savez, il difficile de prévoir ce qui se passera demain. Notre jeunesse qui aspire légitimement à une vie décente et moderne n'en peut plus. L'autre jour, nos jeunes soldats ont même fait irruption dans les positions de l'armée marocaine et ont pris des photos en train de se baigner dans les eaux de l'atlantique… Vous vous imaginez…», glisse, l'air grave, Bouchraya Bayoum. C'est dire que l'Eucoco qui a ouvert ses travaux hier en fin d'après-midi à l'auditorium Eduard Toldra, à Vilanova (Barcelone), est quasiment reléguée au second degré d'intérêt par rapport à la tension vive qui plane à Guerguarat, et risque de tout changer. Pour autant, le Makhzen a comme d'habitude mobilisé hier tous ses relais en Espagne et Europe pour chahuter la réunion de l'Eucoco et étouffer, autant que faire se peut, la voix de ces centaines de sympathisants de la cause venus des quatre coins du Vieux continent, d'Afrique et d'Amérique latine pour apporter leur soutien à ce vaillant peuple qui lutte depuis 41 ans pour recouvrer son droit à disposer de lui-même. Des centaines de marocains se sont ainsi massés hier matin devant le siège du parlement catalan, armés d'affiches et de pancartes, pour faire du bruit, au moment où un rassemblement de soutien se tenait à l'intérieur de l'édifice. Le même spectacle a été observé ici à Vilanova, devant l'auditorium où se sont ouverts les travaux de l'Eucoco. Hommage au Président Abdelaziz Feu le président de la RASD, Mohamed Abdelaziz, décédé en mai dernier, a été le grand absent de cette 41e édition de l'Eucoco. Hier, un hommage solennel lui a été rendu à l'ouverture des travaux de la conférence à l'auditorium Eduard Todra de Vilanova. Un moment de grande émotion pour les centaines de participants dont certains n'ont pu retenir leurs larmes. Et pour cause, le défunt chef du Polisario a sacrifié sa vie pour que vive le peuple sahraoui libre et indépendant. De notre envoyé spécial à Vilanova (Barcelone)