Triolet, Bab El-Oued. Près du lycée Saïd Touati, un arrêt de bus. Sans banc ni abri. Quelques poteaux électriques, légèrement inclinés et encore en veille, soulignent à peine les silhouettes des dizaines d'étudiants debout, en ce début de matinée. «Il n'est jamais à l'heure !», marmonne seul, Aymen sous sa capuche bleu marine. «Il» c'est le Cous, la régie des œuvres sociales universitaires ; ou plus simplement le transport universitaire. Il devait être sur place à 7h00. Pour assurer la liaison de Basta Ali au campus de Bouzareah. Le bus orange loué à l'entreprise privée de transport Mehieddine Tahkout n'est pas encore là à 7h30. D'un pas décidé, il avance vers les bus urbains stationnés non loin de là. Direction l'Université de Bab Ezzouar. C'est ainsi que commence pour Aymen et pour les centaines d'étudiants de la capitale la course derrière… le Cous. Nous passons une journée dans la peau d'un étudiant. Le sentiment en un mot : calvaire. Aymen monte dans le bus urbain pour rejoindre la station de Taffoura. Nous l'accompagnons. Ecrasés au milieu des passagers, nous tentons avec lui de nous faire une petite place… debout. Cet étudiant en 2e année de licence Mathématiques et Informatique (math-info) à la fameuse USTHB, arrive rarement à l'heure pour son premier cours de la journée. «Je ne suis pas le seul», dit-il comme pour associer à son calvaire le reste de ses camarades. «Je paie, chaque année, pour avoir ma carte de transport. Mais en réalité je ne m'en suis jamais servi. Aucun Cous, à ma connaissance, n'assure la navette Bab-El Oued-Bab Ezzouar, du moins aucun n'est à l'heure», témoigne Aymen, qui remet quelques pièces de monnaie au receveur pour payer sa place. 20 dinars pour un aller simple au minimum, parfois plus. C'est selon le moyen de transport utilisé. Pour rejoindre Bab Ezzouar avec le transport universitaire, les étudiants doivent prendre deux correspondances. Première étape, attendre le Cous de Basta-Ali-Bouzareah. Une fois arrivés à l'université de Bouzareah, ils montent à bord d'un second Cous, Bouzareah-Bab Ezzouar. Pareil pour les étudiants résidents dans les quartiers limitrophes de Bab El- Oued et qui doivent rejoindre l'université de Dely Brahim, de Ben Aknoun ou de Saïd Hamdine. Retards et absences, ça coûte cher Les retards accusés par les chauffeurs de ces bus, qui arrivent rarement à l'heure, ne laissent aucun autre choix aux étudiants. Ils doivent mettre la main à la poche et s'orienter vers les transports urbains sous peine de sécher leurs cours. Stressé, Aymen regarde sa montre et se met sur la pointe des pieds ; la station de Taffoura est encore loin. «Voilà, comme d'habitude, je vais devoir expliquer à notre chargé de cours, la raison de mon retard !», se lamente-t-il. Certains enseignants compréhensifs de la situation de ces étudiants retardataires font l'impasse sur les absences, d'autres par contre ne veulent rien savoir. à l'université, la règle est claire : trois absences aux cours de travaux dirigés non justifiées, l'étudiant est déclaré automatiquement défaillant et il devra refaire son année. «L'an dernier, j'avais dans mon groupe un étudiant qui a été recalé à l'un des modules car il avait du mal à arriver à l'heure le matin», se rappelle Aymen, l'air angoissé de subir le même sort. 8h10, nous arrivons enfin à Taffoura. Nous descendons accompagnés de notre témoin. Avec un peu de chance, Aymen espère trouver les bus du Cous qui assurent le trajet vers Bab Ezzouar. Plusieurs dizaines d'étudiants sont là, eux aussi à attendre désespérément le fameux bus orange qui les conduira vers leurs facultés situées un peu partout à travers la capitale. Comme Aymen, ils ont la boule au ventre de se faire recaler à leurs modules. Douce oisiveté des chauffeurs… Quelques regards jetés à gauche et à droite, il aperçoit la petite pancarte placardée à l'avant d'un bus sur laquelle est affichée la destination de Aymen. «Il est là !», dit-il, enfin, rassuré, désignant du doigt la direction du bus. Nous suivons notre étudiant inquiet direction l'université des sciences et des technologies Houari Boumediene. «Mon premier cours est prévu à 8h30, je vais certainement avoir quelques minutes de retards, mais c'est toujours mieux que de le rater complètement». Arrivé sur place à 8h45 tapantes, Aymen, pressé, nous salue fébrilement et se dirige tout droit vers sa classe. Ici aussi, même topo. Cinq bus alignés l'un derrière l'autre, moteur à l'arrêt et portes fermées. Les chauffeurs allongés à l'intérieur, pieds croisés sur le volant. Ils semblent succomber à un doux somme… Nous demandons aux étudiants lequel de ces autocars devait se rendre à Chevalley. Les réponses sont aléatoires. «Je pense que c'est le premier de la ligne», nous dit une étudiante elle-même peu certaine puisqu'elle n'hésite pas à tendre l'oreille pour avoir une réponse lorsque nous demandons à un autre groupe d'étudiants. «Le premier de la chaîne, c'est lui qui devra démarrer à 9h00, mais il refuse d'ouvrir les portes avant cette heure précise». La raison est absurde : «Les chauffeurs se la coulent douce, ils préfèrent attendre jusqu'à l'heure prévue du départ pour laisser les étudiants monter à bord. Le temps que celui se remplisse, 30 minutes environ, ça donnera au conducteur quelques instants de plus de repos…», glissent-ils.Pour constater de visu, nous attendons. L'heure tourne, les étudiants arrivent en masse vers cette station, certains râlent face au comportement des chauffeurs, d'autres ont pris le pli et attendent calmement que le conducteur daigne prendre la route. 9h00 passées de quelques minutes, le chauffeur met, enfin, le moteur en route, ouvre les portes, laissant les universitaires monter. Fin de la longue attente ? Pas tout à fait. Notre chauffeur descend de son bus, fait quelques pas puis s'adosse au mur et allume une cigarette… ! Irritée par cette insolence, une étudiante sort la tête par la fenêtre et fait un signe au chauffeur pour qu'il remonte. «Jusqu'à quand nous devrons attendre pour partir?», lui dit-elle. Indifférent face à la demande, il termine sa clope et revient sans même s'excuser ni même se justifier. Bien au contraire, voulant sans doute «corriger» la fille qui a perturbé sa douce oisiveté, il lance : «si vous voulez arriver tôt, vous n'avez qu'à vous lever tôt !». Des bus garés à longueur de journée Le bus ne partira de Bab Ezzouar qu'à partir de 9h25 pour arriver à Chevalley à 10h35. Dans une immense station à la sortie sud de l'Université de Bouzareah, quelques centaines de bus sont garés. Le parc accueille 500 unités précisément, selon l'Union générale des étudiants libres (UGEL). 500 bus qui sont censés assurer plusieurs lignes vers tous les quartiers la capitale. Mais sur le terrain, c'est une autre réalité. Nous décidons de nous rendre à la faculté de droit à Saïd Hamdine. Nous nous dirigeons vers le contrôleur du parc pour avoir des orientations sur notre destination. «Allez plus bas, à l'entrée et attendez le bus des ITFC, il n'y a pas de ligne directe pour Saïd Hamdine», nous dit-il, brièvement. Pour confirmer ses dires, nous faisons le tour du parc et lisons sur les pancartes des Cous. à notre grande surprise, nous tombons nez à nez sur quatre bus sur lesquels est indiquée la ligne Bouzareah-Saïd Hamdine ! Nous demandons des explications aux chauffeurs, qui répondent à l'unisson : «ils sont en panne !». Pourtant, selon l'organisation estudiantine UGEL, l'entreprise Tahkout s'assure de la maintenance de ses bus. Autrement dit, ces moyens de transport, qui se trouvent dans les parcs des universités, doivent être automatiquement fonctionnels. La question coule alors de source : pourquoi l'Université d'Alger loue autant de bus chez le groupe Tahkout alors que les besoins réels sont largement en deçà ? situation très cocasse surtout que les étudiants se plaignent terriblement, comme nous avons pu le constater, des angoissants retards qui perturbent leurs études, voire parfois provoquent des ratages de modules. Au-delà des sommes déboursées par le Cous pour louer ces centaines de bus, il doit y avoir certainement des dessous.