«…l'ahellil constitue un exemple encore vivant d'une façon de dire autre chose autrement» a dit Mouloud Mammeri et l'ahellil sait dire les choses. Il dit l'amour de Dieu, du Prophète et des saints. Il dit les choses de la vie. Il dit la vie des Zénètes dans leurs oasis verdies grâce à l'ingénieux système des foggaras. Il raconte aussi l'amour dédié aux femmes et le courage des guerriers. Classé chef-d'œuvre du patrimoine culturel oral et immatériel de l'humanité par l'Unesco, ahellil est spécifique à la région du Gourara. Il se chante, se danse sur production d'une rythmique douce et entraînante. Epaule contre épaule, le chœur, pouvant atteindre une centaine de personnes, trace l'espace réservé au soliste (abechniw). Ils l'entourent comme s'il était de leur devoir de préserver celui qui déclame les vers avec sagesse, telle une perle, telle une denrée rare. Chaque groupe veut sauvegarder son gouwal, sur qui repose l'âme d'ahellil. Barka, Hamou et Bnet El Maghra Barka Foulani de Timimoun, abechniw reconnu par ses pairs, a cette manière propre à lui de se mouvoir majestueusement, de lever les bras et de pointer les deux index vers le ciel. Un dialogue des sens ressenti dans son être le plus profond. Il plie la jambe et va vers l'avant, revient et repart, dans une chorégraphie qui entraîne derrière lui tout le chœur. Il joue avec nos perceptions, on le voit, mais on ne comprend pas cette vision. On la ressent, il est léger, il est ailleurs. Hadji Hamou de Ksar Kali enfouit sa grande timidité en chantant des poèmes d'ahellil. Lorsqu'il s'adresse à vous, il a tendance à baisser les yeux, sa voix n'est que murmure. Pourtant quand il rejoint le milieu, au centre du chœur, on ne voit que lui, on n'entend que lui. Une voix chaude et pleine de vibrations qu'il transmet à l'assistance. L'ahellil c'est toute sa vie, il se souvient encore du taleb le corrigeant pour n'avoir pas appris son ardoise. En riant, Hadji se rappelle de ses remontrances. «Ta langue ne se délie que pour dire ahellil», disait le taleb. Les femmes chantent aussi ahellil et ont leur abechniw. Que de sensations au contact de la merveilleuse troupe Bnet El Maghra de Charouine. Lors de leur spectacle donné dans le cadre du Panaf, les hommes se sont tenus à côté d'elles pour jouer des instruments. Avant ils chantaient ensemble, femmes et hommes, plus maintenant, chacun de son côté présente son ahellil. Hadj Hamou raconte que dans les anciennes rencontres d'ahellil, hommes et femmes s'intercalaient que les chœurs, soit disposés en cercle ou en ligne. Les mauvaises ondes de ceux qui ne comprennent pas la signification et la portée d'ahellil les ont séparés. Une gaâda ahellil Une cérémonie d'ahellil peut se poursuivre jusqu'à l'apparition de la lueur du lendemain. Tous les chants sont subdivisés en 3 étapes. Soufflant dans la tamja (flûte), l'instrumentiste donne l'air précédant l'intervention du soliste, cet air décide du chant qui va être interprété. La seconde phase est rapidement reconnue par la réponse donnée par le chœur qui chante en alternance avec l'abechniw. Enfin, d'un signe bien perceptible, ce dernier arrête de chanter, introduisant tendirt, ce murmure des choristes qui monte vers une harmonie enivrante. Le tendirt prend fin par un cri rauque ou un claquement des mains du soliste. Les instruments utilisés pour jouer les rythmes de l'ahellil sont la tamja, l'aqallal (tambourin) et taqallalt (le second tambourin de moindre dimension). Il ne faut surtout pas oublier les claquements des mains, essentiels dans ce genre musical. Par contre pour interpréter tagerrabt, le groupe prend place par terre et suit les notes du bengri (une sorte de guenbri) et l'adgha (une meule en pierre) sur laquelle on arrache des sons en frappant dessus avec deux pierres. Assis ou debout, le répertoire reste le même, avec une différence dans le rythme, lent pour l'ahellil et rapide pour tagerrabt. Tous n'atteindront pas le crépuscule. Au milieu de la nuit ne demeurent que «ceux qui savent» pour participer à aougrout. Durant la première partie de la nuit, on a chanté lemserreh, le plus simple à assimiler donc accessible à tous. Pour accompagner les incantations jusqu'au matin, ou plus précisément pour rencontrer le tra, il faut faire partie des plus érudits, ceux qui comprennent les codes. Et l'abechniw claque des mains...