Le Temps d'Algérie : Le processus de paix se remet sur les rails au Mali avec pour toile de fond la réinsertion sociale au nord de ce pays et la lutte contre le terrorisme. Peut-on le considérer comme un épilogue à la rébellion touarègue ? Abdelhak mekki : Oui, mais comme je viens de le dire, l'accord en lui-même ne permet pas de dire qu'au Mali, on a résolu totalement le problème. Probablement pour ne pas dire que j'en suis sûr, que cet accord n'est possible aujourd'hui après plus de 20 ans que parce que le terrorisme a pris pour base de recul le Mali et que les puissances mondiales dans leur lutte contre ce fléau veulent que les conflits entre les minorités soient tus pour mieux concentrer l'effort contre El Qaïda qui cherche à prendre place en Afrique. Rappelons seulement que les USA ont constitué l'Africacom dans le but d'aider les armées africaines à lutter contre le terrorisme et les groupes armés qui se promènent à travers les frontières africaines. Le contexte actuel du continent africain fait peur tant que par le fait que sa situation politique, économique constitue un compost dangereux pour la stabilité, la sécurité et la paix dans le monde. L'Afrique compte environ 75 foyers de tension qui peuvent dégénérer en conflits. Mais le hic, c'est que ces conflits n'opposent pas que des armées constituées seulement, mais des groupes armés contre l'Etat, des groupes armés contre d'autres groupes armés comme en Somalie, des ethnies contre d'autres ethnies et des supporters de leader politique contre ceux d'autres leaders politiques. L'insécurité en Afrique est permanente et ce n'est pas innocent qu'on ait doté le continent d'un secrétariat à la sécurité en la personne de M. Lamamra.
Selon vous, peut-on l'étendre à la lutte contre le terrorisme ? De par ce que je viens de mentionner, il serait souhaitable que cet accord soit appliqué dans le cadre de la lutte contre le terrorisme tel qu'on l'entend dans son sens restreint au terrorisme international. Mais il faut souligner que toute insurrection armée prônée par des individus ou un groupe d'individus contre l'Etat national est qualifié de terrorisme. Ce dernier n'est donc pas qu'international, il est aussi national et entre celui-ci et celui-là, il peut y avoir des interconnexions et des interrelations qui peuvent mettre en danger la paix et la sécurité du continent et du monde. C'est pourquoi il faut que les pays africains dans leur ensemble (Etats, pouvoirs et peuples) comprennent que la résolution des conflits doit passer par le respect profond des principes démocratiques des droits de l'homme et du citoyen et en admettant l'alternance politique comme modèle de dialogue et de fonctionnement. La Somalie est meurtrie par des guerres intestines, par la piraterie et avec elle l'Afrique. Pendant que ce genre de conflit perdure, concentrant sur lui toute l'attention, on déverse sur l'Afrique les déchets mortels dont le continent pâtira pendant longtemps et on enrôle ses enfants dans des aventures terroristes. Comme je viens de le souligner plus haut, toute action armée, fondée sur une stratégie d'attentats aveugles ou pas doit être combattue en tant que telle parce qu'elle ne respecte pas les droits de l'homme et du citoyen. Mais il faut avoir à l'esprit que tout règlement de conflit qui ne tient pas compte des minorités et des opposants politiques, que toute politique qui cherche à ignorer les différends, la dégradation des conditions socioéconomiques des populations en laissant régner le pourrissement, constituent une plate-forme idéale pour l'extrémisme et ouvre la voie au terrorisme. Oui, l'accord d'Alger doit être étendu à la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes. Sur la question de la lutte contre le terrorisme, Alger et Bamako coopèrent déjà ensemble pour lutter contre. Est-ce à dire que cette coopération va s'étendre aux ex-rebelles touareg ? Alger ne peut coopérer avec les rebelles touareg ; si elle fait cela, elle s'immiscerait dans les affaires intérieures du Mali. Du reste, en même temps, Alger en tant qu'Etat inséré dans le concert des nations ne peut et ne doit refuser à ces mêmes Touareg rebelles l'asile politique si ceux-ci se présentent aux frontières nationales avec cette demande. L'Algérie est signataire des conventions sur le droit d'asile et doit l'appliquer toujours comme dans le passé si tant est la sécurité et la vie des touareg sont en danger. Ce que peut faire Alger, c'est seulement contrôler ses frontières pour que son sol ne serve pas de base-arrière à une nouvelle insurrection. Pour le reste, il appartient au Mali d'appliquer sur son sol, y compris aux ex-rebelles touareg, les termes de l'accord de coopération conclu avec Alger.
Seulement il n'y a pas que ces deux pays qui soient concernés par cette question dans le sous-continent… J'ai insinué plus haut en parlant de la minorité que la question des Touareg, si elle se pose avec acuité au Mali, ne peut laisser indifférents de nombreux Etats voisins du Sahara. La population touarègue est partagée entre plusieurs pays et chaque Etat la traite à sa manière. L'histoire a façonné cette région et la colonisation a une grande responsabilité de par les frontières qu'elle a instaurées. L'Afrique dès la création de l'OUA a consacré le principe de l'intangibilité des frontières et donc donnait le pouvoir à chaque Etat contenu dans ses frontières d'exercer sa souveraineté absolue. Néanmoins, plus de 47 ans sont passés et le monde est en pleine ébullition et les palpitations que lui provoque la mondialisation battent en recul l'Etat centralisé et mettent en exergue l'utilité de la régionalisation et de l'intégration économique régionale. le terrorisme est-il le seul souci qui mine le sous-continent ? Non, il faut rappeler qu'outre l'Algérie et la Libye, les communautés touarègues sont réparties dans la zone dite sahélo-soudanaise qui est composée du Niger, du Tchad, du Burkina Fasso, du Mali et de la Mauritanie qui comptent parmi les pays les plus pauvres et les moins avancés et qui connaissent une désertification terrifiante, et qui ont donc de grandes difficultés économiques. Cette région est presque chaque année dans des situations de rupture, car la misère, la malnutrition, l'analphabétisme, bref tous les affres du sous-développement sont aggravés par la sécheresse menaçante et les essaims de sauterelles. Je ne veux pas citer ici des chiffres. Mais chacun comprend que des jeunes peuvent basculer dans le terrorisme contre quelques poignées de dollars.
Avec la mise en place de ce processus de paix, pouvons-nous a priori anticiper et parler de renforcement de la lutte contre le banditisme en tous genres dans la région du Sahel ? Bien entendu, un accord de coopération portant sur le terrorisme est un accord qui vise le maintien de la stabilité d'un Etat par l'instauration d'une sécurité vigoureuse ; de ce fait, il peut avoir une grande incidence sur le banditisme. Néanmoins, compte tenu de la longueur des frontières sahariennes et surtout de la difficulté physique de les contrôler, il sera difficile d'assurer un tel contrôle. Notre pays le sait bien, car malgré la fermeture d'une frontière avec un pays voisin, les trafiquants trouvent toutes les astuces (y compris de soudoyer) pour contourner le système érigé contre eux. Je suis donc sceptique de ce point de vue. Cependant, je pense que si la lutte contre le banditisme et en faveur d'une sécurité efficace et efficiente, il faut aller plus en avant. D'après vous, quel rôle ou poids ont ces ex-rebelles touareg dans cette région ? Les crises et les révolutions s'embrasent parfois sur l'action de quelques éléments perturbateurs, agitateurs ou révolutionnaires. Le poids et la faiblesse des Touareg, c'est qu'ils sont éparpillés entre plusieurs Etats et vivent dans des conditions différentes d'un pays à l'autre. Comme je l'ai signalé précédemment, les touareg algériens sont présents à tous les niveaux de la vie politique, économique et sociale du pays. Tamanrasset, Djanet sont des villes phares dans la politique touristique nationale. Le discours des Touareg rebelles du Mali ne peut y avoir une incidence. Quels seraient, d'après vous, les enjeux de leur coopération dans cette lutte ? Jusqu'à preuve du contraire, les revendications des rebelles Touareg consistaient à réclamer de l'Etat malien une meilleure considération à leur sort et n'ont franchi aucun Rubicon infranchissable. S'ils ont pris le chemin de la rébellion, c'est probablement que le pouvoir en place à Bamako dominé à l'époque par l'armée a fermé les portes du dialogue. Ce qui revient à dire concrètement que tout dépend de l'application de l'accord par l'Etat malien car lui seul est responsable du maintien de la sécurité sur son territoire. Le rôle des rebelles touareg est de cesser tout activisme menaçant la stabilité et l'unité malienne, mais aussi d'éviter toute infiltration des bandes terroristes ou toute velléité de ce type engendrant un combat sans merci et une mobilisation conjointe de l'Etat national et de la communauté internationale contre eux. Il est évident que le Mali seul, même avec l'appui fraternel de l'Algérie, comme ce fut le cas depuis l'indépendance, ne peut rien à cause de sa pauvreté endémique. Le monde, et en premier lieu l'Algérie, a saisi correctement le message de l'insurrection touarègue ; il va falloir que les rebelles touareg comprennent qu'aujourd'hui plus qu'hier et demain plus qu'aujourd'hui, les différends se règlent de manière pacifique par le dialogue et la négociation.