Ce trafic qui sévit jour et nuit au port d'Alger, qu'il soit légal ou clandestin, voire criminel, n'est comparable qu'à cette hydre aux multiples têtes qu'il faudrait abattre de toutes les manières ! Pour cette raison, les services relevant de toutes les institutions ont pour dénominateur commun le contrôle. Entendre par là que les douaniers, les policiers ainsi que les médecins mettant en application le dispositif sanitaire sont sur le pied de guerre pour parer à toute anomalie. L'arsenal de guerre saisi depuis le début de la saison justifie le dispositif draconien mis en place à l'entrée et à l'intérieur de l'aérogare. Au vu des innombrables bateaux en partance et provenance des pays de la rive nord de la Méditerranée, les services en question sont obligés de mettre les bouchées doubles. Depuis le début de la saison estivale, le port d'Alger est le théâtre d'une incessante activité. Devant le grand flux de voyageurs composé essentiellement d'émigrés algériens, les douaniers, les policiers de même que les équipes de médecins en charge de détecter les passagers présentant des signes ou des symptômes de fièvre à l'aide de leurs caméras thermiques ont eu fort à faire. «Gérer les milliers de passagers qui débarquent ou embarquent quotidiennement, ce n'est pas une mince affaire car, bien souvent, certains d'entre eux tentent de profiter des facilités qui leur sont offertes pour introduire des articles prohibés», nous explique l'inspecteur principal de visite des voyageurs (IPVV). «Malgré les quelque 19 000 TPD (titres de passage en douane) traités par les brigades navigantes, contrôler une moyenne de 400 véhicules débarqués ou embarqués par jour, plus une centaine de bateaux qui sont amarrés durant la saison estivale, nous a incités à redoubler de vigilance», devait affirmer l'inspecteur des douanes qui n'a pas omis de mettre en relief le volume important de travail auquel étaient confrontés les services de police. Pour refléter ce volume, l'inspecteur nous a confié : «Pour juillet la première quinzaine du mois d'août uniquement, nous avons contrôlé 51 075 passagers en provenance de l'étranger et 59 931 en partance vers leur pays de résidence», ajoutant que «durant la même période, nous avons procédé au débarquement de 14 394 véhicules, embarqué pas moins de 8443 autres et procédé au contrôle d'un peu plus de 100 bateaux à l'embarquement et au débarquement». En réalité, ce sont 6 bateaux dont 3 algériens qui opèrent une navette quotidienne Alger-Marseille ou Alger-Barcelone ou Alicante. Il nous fait savoir par ailleurs que le mois de ramadhan a contraint certains émigrés à rester au pays afin d'y jeûner, contrairement à une infime partie qui, elle, était obligée de rentrer pour une raison ou une autre. Ce qui nous a conduits à conclure que les douaniers et policiers de même que les médecins ne sont pas au bout de leurs peines. Il est à peine 14h et à l'intérieur de la salle mal éclairée de l'aérogare, des passagers attendent le ferry devant les embarquer vers leur destination. Postés devant la baie vitrée et, des yeux, ils caressent la silhouette des parents, cloîtrés derrière les barrières limitant l'espace destiné aux accompagnateurs. Le ferry aura du retard et n'arrivera que vers 16h. Leur impatience et leur angoisse sont perceptibles. Certains d'entre eux piaffent d'impatience de retrouver les amis et de leur narrer les moments de vacances passées en Algérie sous un soleil brûlant. «La canicule qui s'est abattue durant le mois de juillet a accéléré notre bronzage», nous lance un passager au visage basané qui, visiblement, était pressé d'aller exhiber la couleur de sa peau à ses amis d'outre-Méditerranée. De l'autre côté de la porte menant aux espaces de contrôle et devant laquelle est posté un douanier, les douaniers s'apprêtent à recevoir les passagers d'un bateau qui venait d'amarrer. Il est 16h lorsque les douaniers, munis de leurs gants et de leurs masques de protection, entament le contrôle des passagers. Les femmes accompagnées de leurs enfants ainsi que les personnes âgées bénéficient d'un traitement de faveur, comme le stipulent les directives de la direction des douanes. Cette tranche de passagers est orientée vers le couloir vert. Même topo pour les véhicules. Toutefois, note l'inspecteur, «les véhicules ou les personnes soupçonnés subissent des contrôles plus approfondis soit par scanner soit par les équipes des visites générales spécialisées (VGS)». Le même bateau embarquera des passagers en partance pour l'Europe. Une valse de ferries qui ne cessera qu'à la fin de la saison estivale. Un accès cafouilleux pour les familles accompagnatrices L'impressionnant dispositif de sécurité entourant l'entrée de l'infrastructure portuaire donne à celle-ci une apparence de forteresse, n'étaient les murs décrépis du parking à étages mitoyen et devant lesquels sont alignés des vendeurs ambulants. L'étroite porte donnant accès aux espaces d'attente est gardée par des policiers qui soumettent les piétons à des fouilles systématiques. De l'autre côté de la clôture métallique, les familles des passagers, interdites d'accéder à la salle de l'aérogare «par mesure de sécurité», sont entassées dans un espace «d'attente» baignant dans une insalubrité déconcertante. «Nous sommes parqués comme des bêtes et contraints de nous munir de bouteilles d'eau, car souvent les bateaux accusent du retard», fait remarquer un vieil homme venu accompagner leur fils, son épouse et son enfant. Comme pour signifier le mépris dont ils sont l'objet, le vieil homme fulmine : «C'est révoltant et hallucinant!» En effet, l'espace d'à peine 100 m2 réservé aux familles ou proches venus accompagner un des leurs est démuni de toilettes et d'autres commodités comme les chaises. Un espace d'où il leur est permis de saluer de la main les passagers au moment où le bateau quitte le quai, situé quelque 100 m plus loin. Des quais aux eaux noirâtres du fait de leur envasement et des quantités impressionnantes de combustible qui y sont déversées par les bateaux. Un problème d'ordre environnemental soulevé à maintes reprises mais qui perdure, au su et au vu de tout le monde. Il aurait été souhaitable dans ce sens que tous les ministres et autres hautes personnalités ayant effectué des visites au sein de l'enceinte portuaire aient la présence d'esprit de prendre des décisions au profit des familles, mais également pour remédier à l'envasement en question. Par ailleurs, si ces personnalités avaient visité les espaces «d'attente réservés aux familles», ils ne seraient pas au bout de leurs surprises. Aux abords de l'entrée du port, les revendeurs de cigarettes et autres articles ou produits consommables exposés à la poussière ne respectent aucune règle d'hygiène. Un peu plus loin, à l'entrée du parking Bounetta, une armoire électrique est squattée par une famille. Bien que chassée à maintes reprises par les forces de police, cette dernière revient inlassablement pour occuper cet espace. Le désagréable spectacle de filles dormant à même le sol dans un coin suscite notre compassion. Il offre un spectacle de désolation aux touristes et aux émigrés qui, par la force des choses, sont choqués. Un constat qui, pourtant, agresse quotidiennement le regard de toutes les personnalités ou autres cadres exerçant au sein de cette enceinte portuaire, considérée par certains comme un véritable vivier pour les basses classes de la société mais également pour les barons de l'importation. Un endroit qui, bon gré mal gré, sert souvent de refuge aux sans-abri. Les médecins sur le pied de guerre Nous avons rencontré quelques problèmes pour accéder à la zone où les médecins opèrent des contrôles sanitaires conformément au dispositif mis en place par le ministère de la Santé, en vue de dépister les cas de personnes atteintes de fièvre porcine. «Nous traitons une moyenne de 1000 passagers par jour, et croyez-moi que ce n'est pas facile de gérer les humeurs des concernés», révèle sur les lieux un médecin qui nous explique que «si certains obtempèrent, d'autres font preuve de réticence et parfois refusent catégoriquement de subir les contrôles (...) Certains passagers ont des comportements très virulents et vont jusqu'à proférer des propos obscènes et attentatoires à notre intégrité». Les médecins font preuve d'une très grande patience, et avec tact, ils refusent de réagir à ces comportements. «Nous nous efforçons de leur expliquer l'obligation qui leur est faite de subir ces contrôles en leur indiquant que ceux-ci sont d'ordre préventif, afin de déceler des cas de personnes atteintes de grippe porcine, lesquels sont orientées vers des hôpitaux spécialisés.» C'est à l'aide de caméras thermiques que les médecins passent en revue tous les passagers et passagères. «La caméra détecte la moindre hausse de température du corps humain, et ce n'est que lorsque certains présentent des symptômes autres que pathologiques que nous décidons de les envoyer à l'hôpital d'El Kettar dans une ambulance toujours présente (...) Sur les lieux, les personnes détectées recevront des soins s'il est avéré qu'elles sont atteintes d'angine ou d'une autre fièvre, mais les cas suspects seront orientés vers l'Institut Pasteur pour y recevoir les soins adéquats». Il convient de saluer la patience de ces hommes et femmes qui se vouent corps et âme et parfois jusqu'à des heures très tardives, aux seules fins de sauvegarder la santé publique. Des armes à feu dans des bagages à main A l'arrivée et à la sortie du territoire national, bon nombre de passagers sont soumis à des contrôles exhaustifs. Sur la base de renseignements ou d'informations, les douaniers, en collaboration avec les services de police, ciblent certains véhicules et passagers. Contrairement aux années précédentes où d'importantes quantités de drogue en partance vers l'Europe ont été découvertes par les douaniers, cette année, les saisies opérées concernent uniquement des armes à feu et des munitions, du matériel de transmission, (talkies-walkies, scanners pour radio, téléphones cellulaires, etc.) ainsi que quelques rares véhicules contenant des pièces de rechange usagées, conformément à l'article 64 de la loi de finances. Ces opérations de saisie ont été réalisées grâce au scanner, mais surtout grâce à l'instinct des douaniers et policiers. Plus d'une vingtaine de personnes ont été présentées devant les instances judiciaires après établissement d'un procès-verbal, révèle le divisionnaire. Croyant pouvoir tromper les services des douanes, certains passagers ont utilisé diverses astuces pour introduire des armes à feu. «Ce Smith & Wesson à barillet et ses balles ont été découverts dans le sac à main d'une vieille dame», nous confie, à titre d'exemple, l'inspecteur divisionnaire aux régimes particuliers (IDRP), M. Bendifallah. Concernant ce type de trafic, l'IDRP nous indique que «durant les deux mois et demi, une importante quantité d'armes, à savoir des fusils de chasse, des pistolets automatiques de diverses marques (Beretta, Smith & Wesson, MAB, etc.) a été saisie grâce à la vigilance des douaniers mais également des policiers avec qui nous échangeons des informations». La quantité de munitions et de poudre noire que ce dernier nous exhibe est impressionnante. Certaines balles sont marquées à leur base de sigles étoilés ayant une très grande ressemblance avec l'étoile de David. Nous sommes même tentés de croire que ces munitions proviendraient de réseaux malintentionnés ayant pour but d'approvisionner les réseaux criminels ou terroristes. Sinon, pourquoi un homme qui viendrait passer des vacances apporterait-il des armes et des munitions ? sommes-nous tentés de nous interroger. Durant notre entrevue, le divisionnaire nous exhibe également des fusils de longue portée et de haute précision ainsi que des jumelles infrarouge, généralement utilisées pour les ratissages ou les reconnaissances nocturnes. Il y avait également des pistolets utilisés par les bateaux pour lancer des SOS. Une arme, faut-il le préciser, pouvant tuer instantanément, si la personne visée est touchée de plein fouet. «Ce ne sont que les saisies opérées durant la saison estivale où les passagers tentent de mettre à profit le grand rush et les facilités qui leur sont faites», indique le divisionnaire qui ne manque pas de dire, pour finir, qu'«à force de saisir ce genre d'articles, nous avons acquis une grande expérience, et les douaniers n'hésitent pas à arrêter le moindre suspect». En conclusion, le port, durant ces périodes de grande fréquentation, est sujet à toutes les mesures de prévention et de sécurité, mais en dépit de toutes ces mesures, il nous est permis de croire à la possibilité que certaines armes auraient pu passer au travers des mailles. Cela n'est, bien entendu, que pure théorie.