C'est une affaire d'épices, de tour de main et d'ingéniosité. Le mois sacré du ramadhan a permis aux fins gourmets de retrouver la joie du goût. La marmite et les fumets qu'elle dégage sont une véritable invitation au voyage. On ne s'empiffre plus comme avant, ce qui rentre ne fait pas forcément ventre comme le disait le vieil adage. Aujourd'hui on mange, et on veut apprécier ce qu'on a choisi d'honorer quand le muezzin appelle à la rupture du jeûne. Et cette fièvre du goût s'est retrouvée exacerbée par l'approche de l'aïd, une occasion qui permet aux Oranaises de devenir les cordons bleus recherchés par des soupirants et les preux chevaliers qui peuplent leurs rêves dorés. C'est ce qui explique le retour en force des épices, le retour en force des livres de recettes qui font fureur dans les librairies. Aujourd'hui on veut imiter Choumicha et se montrer aussi experte qu'elle. On veut réussir les tours de main d'Oussama qui fait fureur sur les ondes de la chaîne de Dubai ou encore servir des plats aussi succulents que ceux de Manel El Alem, la nouvelle étoile d'Abou Dhabi. Les gâteaux deviennent l'espace de ces derniers jours du ramadhan le sujet de prédilection des Oranaises. On en parle au bureau, dans le bus. On délaisse les confidences sur le beau prince charmant rencontré à la dérobade dans une rue du centre-ville, pour s'échanger des recettes, des livres, des épices. On passe en revue les vitrines des pâtissiers et autres traiteurs de la ville, avant de revenir à la cuisine pour essayer les dernières recettes. La ville offre par ses parfums, ses couleurs et son atmosphère un lieu qui pousse à la création et à l'improvisation. Et pour réussir cette œuvre, les épices sont devenues des gages de réussite pour un plat ou un gâteau. On n'hésite plus à aller chercher du cumin, du carvi ou du gingembre frais. Les petits sachets qu'on trouvait facilement chez l'épicier du coin sont aujourd'hui démodés, des produits kitch qui n'attirent même plus les cuisinières pressées. C'est ce qui explique le retour en force des magasins qui proposent les épices. Les herboristes qui se disputaient de maigres espaces dans les marchés sont aujourd'hui détrônés par des magasins qui font des épices un bouquet aux senteurs enivrantes, du goût une raison d'être et du raffinement un art de vivre. A Oran, une ville où les secrets d'un bon plat sont jalousement gardés par les femmes, le commerce des épices a toujours été une tradition. Biyaâ El âatria, un terme ramené du Maroc où le goût n'est pas un vain mot, a depuis toujours existé. Depuis le retour des Arabes d'Andalousie, les épices sont devenues une composante essentielle des plats typiques de la région. Réussir une h'rira, une maâqoda ou un gâteau est aujourd'hui possible avec la profusion d'épices qu'offrent les commerçants de la ville. «Une épice bien utilisée peut vous sauver un plat raté ou relever le goût d'un tadjine à l'aspect anodin», dira khalti Zohra, une femme qui a exposé ses créations à la foire du gâteau et du pain traditionnel qui se tient à la maison des artisans d'Oran. De père en fils A M'dina J'dida, on se transmet de père en fils le secret de la réussite d'un bon mélange de ras el hanout. Les petits sachets préparés par une industrie qui bat de l'aile sont aujourd'hui délaissés. On se tourne vers les magasins avec l'espoir de réapprendre la saveur des plats. Au Tir au pistolet, un quartier situé sur les hauteurs du Toro (ex-les Arènes), un magasin spécialisé dans la préparation des mélanges des épices est devenu la mecque des fins gourmets et des cordons bleus. Le gérant en véritable artiste sait comment jouer épices, des textures pour préparer un mélange qui ranime l'appétit, donne du goût à un plat et transforme le cuisinier en véritable chef. «Ras el hanout est un mélange de 24 à 27 épices. Vous y trouvez du carvi, de la cannelle, du cumin, du gingembre, de la cardamome, du curcuma, des clous de girofle, entre autres. Certains connaisseurs exigent des préparations spéciales qui peuvent contenir jusqu'à plus de quarante épices», dira le gérant. Et aujourd'hui avec l'arrivée des Chinois ce sont de nouveaux parfums qui sont venus séduire les palais. La badiane étoilée, qui dégage des effluves anisées et sucrées, gagne petit à petit sa place dans la panoplie des épices qui orne les cuisines oranaises. Ces magasins qui n'étaient jadis assaillis que les jours qui précèdent le mois sacré attirent aujourd'hui plus de clientèle. On trouve même une chaîne formée à l'entrée de certaines échoppes de M'dina J'dida ou du centre-ville. Les ménagères s'y rendent pour préparer le f'tour. «Pour ras el hanout chaque Oranaise a sa mixture et son mélange spécial dans sa tête. Vous ne trouverez jamais deux préparations semblables. Chacune a son secret qu'elle garde jalousement pour elle», dira notre interlocuteur. La mixture ainsi préparée est un voyage à travers le monde de la saveur. Vous pourrez traverser des contrées en reniflant le bouquet de ces épices. Certaines épices sont ramenées d'Asie comme le gingembre, la noix de muscade ou le poivre long, d'autres d'Afrique comme la nigelle. Java, Sumatra, Zanzibar D'autres sont importées de Java, de Sumatra ou du Zanzibar. Ces joyaux qui empruntaient jadis des routes tortueuses comme le chemin de la soie ou la route des Indes partent aujourd'hui à l'assaut du monde à coups de containers. C'est une véritable richesse que se partagent des cartels qui exploitent outrageusement la force et le labeur des pauvres producteurs asiatiques ou africains. «Des femmes nous rendent visite pour des conseils sur l'utilisation de telle ou telle épice, sur ses qualités, sur ses propriétés. Elles n'hésitent plus à composer leurs propres mixtures en agissant sur les dosages de chaque épice», dira un autre commerçant qui dit ne proposer aujourd'hui que des épices en vrac, «fini le temps des petits sachets préparés». Concernant les épices, notre source affirme que réussir une préparation n'est pas à la portée du premier venu. «Il faut savoir comment utiliser le produit et l'amener à livrer toutes ses senteurs. Il existe certaines épices qui doivent être utilisées fraîches, d'autres qui doivent être torréfiées pour donner la quintessence de leur bouquet. Il existe certaines, utilisées seules ou maladroitement, qui sont dangereuses. Mais ajoutées à d'autres ou bien utilisées, elles rehaussent le goût d'un plat bien mijoté ou d'un rôti bien grillé», dira notre source. Fini le temps des colorants artificiels, aujourd'hui on n'hésite plus à recourir au safran naturel qui relève le goût d'un plat. Cette épice considérée par les anciens comme une véritable richesse, un diamant, aujourd'hui importée d'Espagne et d'Asie, pourrait être produite en Algérie. Des expériences menées dans certaines régions du Sud ont été couronnées de succès. Notre pays pourrait être dans un proche avenir une zone de production de certaines herbes et certains aromates. Les gâteaux ont regagné leurs lettres de noblesse avec le retour des épices. Les pâtissiers ont réintroduit dans leurs préparations les graines de sésame, les pistaches, le cumin, les graines d'anis. Cette façon d'agir n'a pas été sans encourager les Oranaises à redécouvrir un terrain qu'elles avaient délaissé avec l'apparition des traiteurs et des pâtisseries industrielles. «Les temps sont durs aujourd'hui, et si certaines Oranaises achetaient il n'y a pas longtemps des gâteaux préparés, aujourd'hui la crise aidant, elles préfèrent réinvestir la cuisine, réapprendre à malaxer la farine, à chauffer le four, à garnir d'une farce au goût et au parfum relevé, des dziryette, un m'khabez ou un tcharek», affirme khalti Zohra qui a ouvert une petite école où elle enseigne aux jeunes femmes au foyer comment user du rouleau à pâtisserie ou comment devenir la Choumicha de demain.