L'élection controversée et inattendue de la diplomate bulgare Irina Bokova à la tête de l'Unesco, mardi, après un 5e round par 31 voix contre 27 pour l'Egyptien Farouk Hosni, archi-favori, mais qui s'est plié à la Berezina médiatico-diplomatique, jette l'institution onusienne dans un précédent grave où une certaine idéologie est prégnante. C'est que pour la première fois de son histoire, le renouvellement de la direction de l'Unesco a démonté à la face du monde que cette prestigieuse organisation onusienne, dédiée à l'éducation, à la science et à la culture, est la nouvelle victime apparente des clivages politico-idéologiques, mais aussi de calculs financiers. Des milieux qui n'ont jamais prouvé leur respectabilité ont épaissi contre le candidat de l'Afrique, et du monde arabe et musulman, un dossier truffé d'accusations diverses dont l'antisémitisme et l'anti-israélien qui sont devenus des interdits universels excluant, sans aucune forme de procès, tout prétendant à une chaire internationale respectable, voire à la respectabilité tout court. Il a suffi au ministre égyptien d'avoir prononcé dans un conteste particulier, l'agression raciste et liberticide contre la population désarmée de Ghaza, le mot «interdit», «brûler les livres écrits en hébreu qui se trouveraient dans les bibliothèques» de son pays, pour subir les foudres des nouveaux censeurs et professeurs ès humanisme, et ainsi mener toute une cabale de tolérance zéro contre lui, pour lui barrer le chemin des cimes ardues de l'Unesco. Même les explications apportées par lui dans les respectables colonnes du journal français Le Monde, où il s'excusait «solennellement» ne lui a pas valu grand-chose auprès des «juges» autoproclamés faiseurs de bonnes consciences. Cette triste ligue contre un artiste et intellectuel arabe pour l'empêcher de représenter le monde arabe et musulman à l'Unesco a été conduite éhontément par de supposés «leaders d'opinion influents», tous alliés invétérés du monde dit «libre et civilisé». Aucune attaque en revanche n'a été dirigée contre les autres concurrents au poste brigué par Farouk Hosni. C'est ce qui a fait écrire à un observateur s'adressant à la meute d'intellos au service du sionisme international : «Vous parlez d'amour et d'humanisme alors que vous ne prônez, par vos dénigrements et votre paresse intellectuelle, que le déni de l'autre tout en entretenant la haine de l'autre. C'est tout à fait honteux une fois encore.» Sur le site internet d'un guetteur invétéré de toute pensée qui «taquinerait» Israël, le monnayeur de la plume Bernard-Henry Lévy, Hosni est descendu en flammes journellement depuis qu'il avait fait part de sa candidature au poste et jusqu'à l'ultime jour du pourvoi de ce poste. Selon un observateur qui suit cette campagne contre Hosni, «Bernard-Henri Lévy, c'est son combat du moment. Intarissablement depuis des semaines, il parcourt Paris, bouscule les responsables politiques, poussent les portes, harcèle l'Elysée, secoue le cocotier et tire les sonnettes». Objectif : faire barrage au ministre égyptien. Traité d'antisémitisme, «sacrilège suprême», de censeur des artistes dans son pays, d'homophobe (sic), on vient de lui coller le titre de «terroriste» en l'accusant (au conditionnel) d'être impliqué dans l'affaire du détournement, en 1985, du paquebot italien Achille Lauro. La disqualification du candidat des Arabes après une bataille épique déshonorant l'institution et qui a réjoui sur-le-champ, les dépositaires indus de la «virginité» de la pensée universelle, est un nouveau coup porté à cette fumisterie appelée «dialogue des cultures et des civilisations», dont se prévalent ceux-là mêmes qui ont tout employé pour lui barrer la route. Du jamais vu Jamais, au grand jamais, une élection à la tête de l'Unesco depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale n'a connu un tel enjeu, fait de coups bas, de dénigrements ciblés et de haine tranchant avec l'esprit originel et les idéaux défendus par cette institution, où à sa création l'entité sioniste n'était même pas encore née. Une entité qui allait peu à peu devenir par une sommation de compromissions, de trahisons et d'influences suspectes des puissants de ce monde, y compris des pays arabes, une référence et un régulateur dans les décisions des Nations unies et de ses organisations. Il était entendu dès le retrait de la course de la candidate autrichienne Benita Ferrero-Walder, commissaire européenne des relations extérieures, laquelle a appelé à faire front contre Farouk Hosni, pour placer à la tête de l'Unesco une Européenne, fût-elle formée à l'ancienne école soviétique. La défaite de Hosni était certaine, en dépit d'avoir montré patte blanche face aux attaques du bloc européocentriste et sioniste, représenté par de puissantes ONG, et des intentions «favorables» des dirigeants israéliens et américains. Il y a eu une savante division du travail entre des dirigeants occidentaux et ces ONG, dictée par des intérêts cachés, pour mettre en échec le favori de la course qui était en tête des suffrages dès le premier tour, tout en gardant sauves les apparences. Encore une fois, les diplomates arabes, africains, musulmans et tiers-mondistes ont fait montre d'amateurisme, et peut-être joué sur d'autres registres affriolants pour leurs pays respectifs, pour ne pas faire bloc autour du ministre égyptien. Pourtant, tout ce beau monde détient la majorité absolue au sein du conseil exécutif de l'Unesco formé de 58 membres, pour faire la différence. Cependant, il était dit que celui qui détient les cordons de la bourse détient le pouvoir. Les Etats-Unis, qui contribuent à hauteur de 40% du budget annuel de l'Unesco se chiffrant à quelque 600 millions de dollars par an, ont dicté en catimini leur préférence. Le beau discours de réconciliation avec le monde arabe et musulman d'un Barack Obama de l'été denier au Caire n'était en fait que de la poudre aux yeux. Et la disqualification de Farouk Hosni est une autre preuve de la «quadrature du cercle» qui caractérise les rapports conflictuels entre deux mondes, l'Orient jadis scientifiquement et culturellement prospère et dominant, et l'Occident d'aujourd'hui. Sans le veto américain et la réserve de la France émise sous le couvert de «la neutralité en tant que pays hôte de l'organisation», et avec les 9 voix reportées de la candidate latino-américaine, l'Equatorienne Yvonne Baki, le ministre égyptien l'aurait emporté haut la main. C'était compter aussi sans cette sortie calculée de Simone Veil qui a apporté son soutien à la Bulgare en pleine bataille pour le fauteuil. Ancienne ministre et actuelle membre de l'Académie française, Simone Veil, présentée surtout comme présidente de la «fondation de la shoah», n'a pas pris position pour la candidate bulgare, jusque-là illustre inconnue au bataillon. «Mme Bokova est à mon sens la mieux qualifiée pour diriger l'Unesco, voilà ma motivation. Mais c'est un fait aussi, que les déclarations de M. Hosni sur les livres écrits en hébreu et sur les juifs en général suscitent chez moi beaucoup d'interrogations. Certes il a récemment tenu des propos différents, mais la teneur de ses propos change pour ainsi dire tous les jours. Les dirigeants israéliens adoptent une attitude prudente en raison des liens qui existent entre leur pays et l'Egypte. Mais l'incertitude des déclarations de M. Hosni laisse sans réponse de nombreux points d'interrogation», a-t-elle dit à un journal français connu pour ses accointance avec l'entité sioniste. Tout un programme. Ces propos ont grandement joué en faveur de la concurrente de Hosni, voué aux gémonies et à travers lui le monde arabe en général. Ajouter à cela la diatribe d'un Elie Wiesel, «Prix Nobel de la Paix», pour qui Hosni était un «homme dangereux, un incendiaire des cœurs et des esprits», pour clore le débat sur son devenir à l'Unesco. Arabe contre Arabe Mais le plus navrant, c'est la position de certains intellectuels arabes de service. Il y en a eu de ces «intellectuels arabes» qui ont donné un coup de main aux pourfendeurs du candidat de l'Egypte, et partant au monde dont ils appartiennent initialement. Il en est ainsi de l'intellectuel soudanais Abdelwahab El Affendi, qui écrit ceci, dans une tribune : «La volonté de Farouk Hosni d'accéder au sommet de l'Unesco ne se heurte pas seulement à sa manière répréhensible de traiter la culture dans son pays, mais également à sa pratique du pouvoir. Il a en effet géré son ministère comme un fief personnel, donnant prise à des accusations de confusion entre l'intérêt public et ses intérêts privés. Mettre un tel personnage à la tête d'une organisation dotée d'un budget incomparablement plus important que celui du ministère de la Culture égyptien n'est pas pour enchanter les diplomates internationaux.» Et ces propos ne sont pas tombés dans l'oreille d'un sourd ! C'est du reste ce qui a fait dire à un citoyen arabe désabusé : «Comme un seul homme, tels des pieds nickelés, intellectuels, journalistes et anonymes s'appuyant sur du vide, sans valeur matérielle donc, tentent depuis des mois de lyncher et de disqualifier cet homme à l'élection au directoire de l'Unesco.» Ils ont malheureusement réussi. La défaite du ministre égyptien face à l'ancienne communiste «réformée» pour servir les bonnes causes sonne la débâcle du monde arabe dont les divisons entretenues en sont la principale cause.