Dieu est partout. Au ciel, sous et sur terre, au Paradis comme en enfer, il est là. Omniprésent. Dans les cœurs aussi des petites gens de chez nous. Pour certains, il est Allah, le créateur, l'unique aux 99 noms. Pour d'autres par contre, il est le bon Dieu, le père du Christ. Dieu est porté en Algérie par ces deux communautés, musulmane, largement majoritaire et chrétienne, qui reprend du terrain. Deux communautés qui cœxistaient autrefois parfaitement bien avant que ne viennent d'autres paramètres sur lesquels nous n'allons pas nous étaler ici, remettre en cause l'un des principes mêmes sur lesquels se basent les religions monothéistes, la paix à travers la cœxistence des Livres de Dieu. Dieu est dans les cœurs, semblent donc suggérer tout le long des lignes qui suivent les nombreuses personnes que nous avons interpellées, celles surtout converties au christianisme composant la communauté protestante en Kabylie, qu'on dit à tort ou à raison persécutée. C'est cet esprit qui se dégage en gros des propos de nos interlocuteurs protestants «de cœur et de chœur», parfois aussi pleins de rancœur envers l'environnement incompréhensif qui les entoure mais aussi et surtout tolérants de par leurs affirmations, leur désir ardus de vivre leur foi loin des lectures aux relents de croisades. Comment vit cette communauté au quotidien? Quel est son mode d'organisation, quelles sont ses aspirations ? «Nous voulons vivre notre foi librement», tranche Farid, originaire de Tigzirt, amateur de pêche à la ligne converti «avec une conviction sans faille à la parole de Jésus», avant même que notre question soit formulée. «À vrai dire, ma foi est un mode de vie», poursuit-il, un choix pour lequel Farid a opté depuis déjà des lustres. Tout en racontant une histoire «miraculeuse» d'une vieille femme malade guérie par le Christ qui a renforcé sa conviction, Farid expliquera: «Croyez et vous verrez, ceci est un enseignement biblique». Pour lui, l'amour du prochain est sacré, «qu'il soit chrétien ou musulman». Ses amis qui l'entouraient tentent en parallèle de le dissuader, de se payer sa tête, il reste imperturbable.» Vous n'êtes pas réellement musulmans», leur répond-il, faisant allusion à la bière qu'ils sirotaient à l'ombre d'un platane, loin des regards curieux, un arrosage périodique comme rituel pour consacrer leur amitié élevée depuis l'enfance qui a certes pris des tournures autres «mais sans clashs». ce sont les propos de Farid. Des prières et des chants «Nul n'est parfait mais je m'attelle à atteindre une certaine perfection», explique notre amateur de pêche qui travaille comme veilleur de nuit. Des nuits consacrées à la méditation comme pour asseoir cette perfection recherchée à travers le message de Jésus. Notre communauté s'agrandit de jour en jour, jure-t-il, citant des conversions par familles entières à Iflissen, Tigzirt et Mizrana, n'omettant pas de rapporter le cas de cette vieille femme de 75 ans qui, après toute une vie de foi musulmane, s'est convertie au christianisme. Notre interlocuteur regrette par ailleurs l'inexistence de lieux de culte proprement dit. «Nos églises sont généralement des maisons individuelles, louées par des fidèles», fait-il remarquer, non sans faire allusion à l'église de Tigzirt, datant de l'époque coloniale, devenue pour un temps demeure de l'imam de la ville. «Même si les nombreux fidèles de la région se rendent à Boudjima ou Makouda et Tizi Ouzou pour faire leur prière et autres louanges, il n'en demeure pas moins que nos lieux de prière sont exigus à telle enseigne que les anciens fidèles, les permanents, laissent leurs places aux nouveaux convertis», dira Farid qui jure par tous les saints que dans sa région, la foi chrétienne est pratiquée légalement chaque vendredi au lieu de samedi comme c'était le cas avant, «histoire de nous conformer au nouveau week-end», dit-il. Comme quoi tous les jours sont bons pour la prière. Décrivant «la prière de vendredi», Farid affirme qu'elle se déroule dans une symbiose parfaite. «On commence par les louanges, puis la sainte cène, le repas du seigneur puis la prédication et les prières de guérison. Les chants sont souvent des psaumes en kabyle, et des compositions de fidèles aussi», explique notre interlocuteur avant de concéder que la pratique de la foi chrétienne en Algérie est «un combat spirituel quotidien». Persécutés alors ? Prudent, Farid affirme : «Le bon Dieu nous a avisés à ce propos». Pour lui, les gens qui font barrage à la lumière, «ça peut être tes parents, tes voisins… mais notre vrai ennemi, c'est le diable et les forces du mal», dit-il, avouant que lorsque le danger se fait sentir, des prières sont faites pour l'éloigner. " «Nous jeûnons même pour éloigner le diable», poursuit-il. «Il y a des fois des pépins avec les voisins, mais ça reste dans les limites», consent-il enfin affirmant toutefois que «si un chrétien te dis je hais un musulman, il n'est pas un bon chrétien». Le meilleur témoignage pour lui envers la société qui «faut-il l'avouer, tend à nous rejeter, c'est ton comportement». Farid qui reconnaît aussi que dans «ce nombre impressionnant de convertis «, il y a ceux qui y viennent par curiosité ou encore «peut-être par intérêt» ne manquera pas de dire à l'endroit de ceux qui stigmatisent la Kabylie pour «sa christianisation à outrance» qu'il ne faut pas mélanger la race et la foi. «Nous n'avons renié ni notre race ni notre nationalité», assène-t-il. «Des ignorants veulent nous discréditer» A Larbaa Nath Irathen, autre région à forte concentration évangéliste, l'ambiance était électrique lors de notre passage. Et pour cause, un cimetière musulman venait d'être profané. C'était à Ath Atelli. C'était difficile de faire parler les citoyens dans de tels moments. Ammar, citoyen d'Ath Atelli, chrétien lui aussi, nous affirme toutefois après avoir pris connaissance de nos intentions que l'acte barbare qu'il dénonce n'est pas le fait de fidèles. «Ce sont des gens qui veulent nous discréditer. Des ignorants», tranche-t-il, sans nommer une quelconque partie. «C'est pour jouer sur l'issue du procès des 4 chrétiens de Larbaa Nath Irathen accusés de création de lieu de culte illicite que cet acte ignoble a été commis», dit-il affirmatif. Il temporisera toutefois avant de reconnaître que «par ignorance», certains chrétiens, en l'absence d'églises et autres lieux, «prient où ils peuvent», notant dans le sillage que l'EPA (Eglise protestante d'Algérie) à laquelle ils sont affiliés est agréée par l'Etat. A Aïn-El-Hammam, c'est la même ambiance avec le procès des non jeûneurs, maintes fois reporté. «Il faut se battre dans ce pays, pour sa foi, pour sa vie», dit un jeune rencontré au centre-ville, satisfait de l'issue du procès. Les débats vont bon train à ce propos et la religion réoccupe encore une fois la scène médiatique. «Si on se battait avant avec nos parents pour leur expliquer notre intention, notre vision, aujourd'hui c'est contre la loi scélérate que désormais nous devrons nous battre, contre une justice sans âme», poursuit le même jeune qui accuse «certains cercles» de vouloir noyer le vrai débat national dans des «futilités» et le focaliser sur la religion. «Les croisades, c'est du passé», ajoute-t-il encore, souhaitant «le retour à la paix». Si le comité du village d'Ath Atelli avait déposé plainte contre X, certains villageois n'hésitent pas à montrer la communauté chrétienne du doigt. «Il nous pourrissent la vie. Cette terre est une terre d'Islam, ils n'ont rien à faire ici», accuse un citoyen de Larbâa qui veut garder l'anonymat. «Je ne veux pas polémiquer», rétorque Ammar, qui, comme Farid de Tigzirt, prêche la tolérance. «Etre protestant, c'est une question de choix» «Nous ne faisons que vivre notre foi», dit-il relatant quelques incidents entre fidèles chrétiens et musulmans «qui ne sont pas allés jusqu'au débordement». Pour Ammar qui rappelle que la liberté de culte est consacrée par la Constitution algérienne, «la foi chrétienne est un choix», mais l'ordonnance de 2006 est venue selon lui remettre en cause les lois consacrées par la Constitution. Comment les églises qui se créent sont-elles financées ? Ammar affirme tout de go que «l'Etat algérien ne donne pas un sou. C'est grâce aux dons des fidèles que nous parvenons à nous maintenir», lâche-t-il, niant l'existence de fonds provenant de l'étranger. Pourquoi le choix du protestantisme alors que l'Etat reconnaît l'église catholique comme instance suprême du christianisme en Algérie ? «C'est aussi une question de choix», dira simplement Ammar, alors que Farid, plus précis expliquera que «les catholique évoquent Marie, mais nous, nous croyons en Jésus, le Fils de Dieu». Il affichera carrément son opposition au baptême pratiqué par les catholiques, affirmant que la foi est d'abord un engagement. Sollicité pour donner son avis sur le sujet, l'archevêque d'Alger, Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader, nous a d'abord donné un rendez-vous qu'il a repoussé par la suite avant de décliner notre sollicitation, prétextant un programme chargé et des voyages à l'étranger. Au niveau de l'archevêché où nous nous sommes rendus à plusieurs reprises, l'on a compris à travers la gêne des «fidèles» avec lesquels nous nous sommes entretenus que l'on veut à tout prix «occulter» la question, pour des considérations… de prestige. «Ici c'est l'église catholique, il faut voir avec les protestants», nous a averti un des employés permanents de l'archevêché. Les protestants qui adoptent «un mode de vie in, au sens «reclus et moderne», tente d'analyser un non-croyant de TiziOuzou, se singularisent de leurs frères catholiques par «leurs acharnement à propager la parole de Dieu». Prosélytisme ? Négatif, affirment l'ensemble de nos interlocuteurs protestants qui accusent les pouvoirs publics de «laisser faire». L'on nous a cité pêle-mêle l'incendie de l'église Tafat de Tizi Ouzou, l'interdiction «officielle» d'extension de l'église protestante de la même ville ainsi que d'autres «attaques auxquelles on fait face au quotidien mais qu'on traite avec beaucoup d'intelligence». L'accusation est «confirmée» par Mustapha Krim, le pasteur de l'église protestante (voir entretien), qui n'hésite pas à qualifier sa communauté livrée à elle-même d'«oubliée du système». Une communauté pourtant ouverte et qui «mérite plus de respect».