Telle une traînée de poudre, les émeutes qui ont éclaté mercredi soir dans quelques quartiers du Grand Alger tels que Bab El Oued, Kalma et El-Qaria à Chéraga, se sont propagées le lendemain à la nuit tombée dans la quasi majorité des autres localités de la capitale. Jeudi soir, le ciel d'Alger était enfumé par les pneus et autres objets brûlés au milieu de plusieurs axes de circulation. L'air empestait de l'odeur des gaz lacrymogènes qui témoignaient de la reprise des affrontements entre plusieurs dizaines de jeunes surexcités et les forces antiémeutes de la police et de la gendarmerie déployées en grand renfort. Les dégâts provoqués par ces échauffourées ont été recensés en plusieurs endroits de la capitale dès l'après-midi de jeudi. On peut citer entre autres plusieurs véhicules calcinés dans le quartier de Bab El Oued. A Triolet, les sièges de Renault et de Lifan ont été incendiés après avoir été pillés. Un peu plus loin, dans le quartier des Trois Horloges, des magasins ont subi le même sort. Non seulement à Bab El Oued, mais dans plusieurs autres quartiers comme Bachdjerah, Aïn Naâdja, Bab Ezzouar, les Annassers et Aïn Bénian pour ne citer que ceux-là, nombreux sont les magasins qui ont été pris d'assaut par des troupes de manifestants. Un show-room de la société LG sis à Aïn Naâdja a été attaqué, de même que plusieurs boutiques de Djezzy ainsi que le magasin Sony se trouvant sur les hauteurs d'Alger. Lors de notre tournée, on a été témoins de la mise à feu d'un bus de la RSTA au niveau d'El Afia, abandonné au milieu de la route menant de Garidi II vers les Annassers. Toujours dans le lot des dégâts, certaines institutions de l'Etat n'ont pas été épargnées. On peut citer le bureau de poste des Annassers attaqué en fin d'après-midi de jeudi. Il en est de même pour le siège de la BNA de Aïn Bénian qui a été également visé. On a été également témoins de l'incendie du siège de l'APC de Oued Koreich par des dizaines de manifestants qui se sont introduits à l'intérieur pour le saccager et le piller. On apprendra au même moment que plusieurs axes de circulation de la capitale étaient obstrués, notamment l'autoroute Est-Ouest au niveau de Baba Ali. En un mot, les dégâts causés au terme de deux nuits d'émeutes successives à Alger sont innombrables et d'une grande ampleur. Hausse des prix : la mèche ayant servi à allumer la poudrière Même s'il est admis que c'est principalement en raison de la hausse des prix des produits de large consommation que les émeutes ont éclaté mercredi dernier dans plusieurs régions du pays, il n'en demeure pas moins que ce motif apparaît comme la goutte qui a fait déborder le vase. En attestent les propos recueillis auprès des manifestants qui sont majoritairement jeunes mais parmi lesquels se comptaient également des pères de famille. Nous avons rencontré l'un de ces derniers dans le quartier de Kalma de la localité de Cheraga, théâtre des affrontements. A. Ahmed, 49 ans, père de sept enfants habitant dans le bidonville érigé à Kalma depuis 1990, s'élève contre la situation et la cherté de la vie. «Je suis un père de famille au chômage et je ne perçois que 3000 DA d'allocations pour subvenir aux besoins de ma famille. Je vous assure que mes enfants, si ils déjeunent à midi, ne dînent pas le soir. La misère est notre quotidien depuis toujours. On en a vraiment ras-le-bol. Les conditions les plus élémentaires de l'existence font défaut. Ici, on manque de tout. Il n'existe pas de transport scolaire, pas de bureau de poste, ni centre sanitaire. Les coupures d'électricité sont récurrentes, elles durent parfois jusqu'à trois jours. Le chômage est endémique à Kalma et les perspectives d'emploi sont inexistantes. La plupart des jeunes s'adonnent à la drogue croyant que c'est la meilleure manière pour fuir le désespoir». Ce témoignage a été approuvé par beaucoup de jeunes rencontrés la nuit de mercredi sur les lieux. Ils étaient unanimes à dire que la hausse des prix de l'huile et du sucre n'était que la goutte qui a fait déborder le vase, en mettant en avant la détérioration de leurs conditions de vie et l'exclusion dont ils ont toujours fait l'objet de la part des autorités. Faut-il juste souligner que parmi les manifestants il y avait aussi des enfants à peine âgés d'une douzaine d'années. Le lendemain jeudi, le quartier dit «Carrière» à Bab El Oued entrait en ébullition dès les premières heures de la nuit. Là encore, une meute de jeunes nous a vite entourés pour nous faire part de leurs problèmes d'ordre social se traduisant par le chômage, le manque de prise en charge de la part des autorités et des conditions de promiscuité dans lesquelles ils ont toujours évolué. Pour mieux accréditer leurs propos, ces jeunes nous ont conduits à la placette juxtaposant la station de bus dite Bazitta. Ici, six familles habitent dans des tentes de fortune depuis le 17 juillet. «On est victimes d'injustice», fulminent les membres de ces familles. Le jeunes de Bab El Oued ont tenu à préciser que c'est en raison de la misère dans laquelle ils sont confinés qu'ils ont décidé d'investir la rue et qu'en ce sens l'argument de la hausse des prix du sucre et de l'huile n'est que la mèche ayant servi à allumer la poudrière. Un important dispositif de sécurité a été mis en place, particulièrement au niveau des artères et des principaux édifices publics. Hier encore, l'atmosphère à Alger était très tendue durant la matinée.