Révélatrices, les récentes déclarations du Président yéménite Ali Saleh. Il se dit prêt à quitter le pouvoir dans les heures qui viennent, mais ce qui lui importe le plus, c'est que son prestige et sa dignité soient préservés. L'obsession type de tout dirigeant qui n'a jamais pris le temps d'engager une quelconque réflexion sur l'importance de l'alternative au pouvoir. Sans moi, le déluge. Si le combatif Ali Saleh s'agrippe tant à son fauteuil présidentiel, c'est juste pour transférer le pouvoir, de manière pacifique, en «mains propres». Autrement dit, à n'importe qui sauf à l'opposition qui ne lui a laissé aucun autre choix si ce n'est préparer déjà ses valises. C'est en partie cette dignité qu'il veut absolument défendre. Il n'est pas question de quitter le palais et de rendre les clés à des opposants qui continuent de s'acharner contre sa personne et contre son entourage proche. Le calvaire de ne plus se sentir le pacha de Sanaa, le martyre de perdre le prestige qu'il cultive depuis 32 ans. Au moment où le Libyen Kadhafi ne compte plus ses chars et ses avions tout juste bons pour la casse, Ali Saleh oblige ses interlocuteurs à lui garantir une sortie avec les honneurs. Le tapis rouge pendant qu'on y est. Sauf que l'homme ne pense partir nulle part. S'exiler à Djeddah ou à Paris ne l'intéresserait nullement. Réciproquement, la France et l'Arabie saoudite ne seraient pas trop chaudes pour l'accueillir. Tout comme Hosni Moubarak, Ali Saleh veut continuer de vivre chez lui, nourrissant l'espoir de pouvoir peut-être un jour prendre sa revanche sur l'histoire et sur ce printemps arabe qui ne finit pas de tout charrier sur son passage. S'il doit partir, le maître finissant de Sanaa veut aussi des garanties que son clan ne sera pas traîné devant les tribunaux. En plus de n'avoir pas commis autant de crimes que Mouammar Kadhafi et ses fils, qui ont choisi d'envoyer des chars à Benghazi à la place d'émissaires qui auraient pu instaurer ne serait-ce qu'un semblant de dialogue, Ali Saleh a eu l'assurance de la part de l'opposition et du mouvement de la jeunesse yéménite qu'il peut partir tranquille. Pour la simple raison qu'ils ne veulent plus de lui et de son régime. Ce qui ne signifie aucunement être pro-occidental. La libéralisation a trop tardé à se pointer, point à la ligne. Le président syrien, Bachar Al Assad, est lui aussi concerné directement pas cette démocratisation qu'il n'a pas eu l'intention de mettre sur les rails, n'était la révolte des Sudistes. Il a beau lâcher du lest et 300 détenus politiques (il y a eu autant d'arrestations en 48 heures), la rue syrienne continue de crier, à torse et à bras nus, sa répugnance du système en place. Après le complot américano-sioniste par le biais duquel Ali Saleh a cru pouvoir renverser la tendance en sa faveur, voici que le régime de Damas se sent victime d'un complot confessionnel. Il se pourrait que cela soit vrai, mais ce qui l'est encore davantage, c'est cette immobilité politique que le régime d'Al Assad fils a choisi au début des années 2000. Toutefois, une question s'impose d'elle-même, cette multitude de complots et d'agendas étrangers auraient-elle pu être citée comme facteur indirect de troubles si les régimes en question avaient fait le bon choix de réformer quand il le fallait ? Ceux qui sont sur le point de départ et ceux qui s'attendent à les rejoindre connaissent aussi bien les uns que les autres la réponse. Reviendront-ils un jour nous expliquer que leur refus collectif de démocratiser leurs pays, sinon retarder l'échéance plus longtemps, était intiment lié à la préservation de la tradition islamique qui se voudrait incompatible avec une occidentalisation imposée par l'Ouest ? On entend déjà des voix s'élever parmi celles du bloc occidental pour crier à la face du monde : ils n'avaient qu'à choisir la loi islamique comme mode de gouvernance. Les choses auraient été plus claires et les guerres préventives plus rentables qu'en Libye.