Ce n'est déjà pas très commode de ne pas aimer le foot en temps normal, les choses deviennent encore plus compliquées par un «grand jour de foot». C'est quand même dingue d'entendre sur toutes les bouches que le foot n'est plus ce qu'il était, qu'il n'en reste qu'un vulgaire ersatz dont on se demande s'il s'agit vraiment du même sport pratiqué sous d'autres latitudes, que comme finale de coupe d'Algérie on a connu nettement mieux, qu'il faut être fou, voire suicidaire d'aller au stade par les temps qui courent et qu'au final, il y aura près de cent mille quidams à s'angoisser une semaine avant, pour trouver le billet, organiser un transport, se parer de la manière la plus extravagante possible, s'époumoner en diable le jour du «match» et préparer la fête, parce que quand on va au stade un jour de finale de coupe d'Algérie, on s'imagine systématiquement dans la liesse euphorique des vainqueurs, jamais dans l'éclipse des vaincus en détresse. Malik ne comprend pas. Il n'a jamais aimé le foot et il pensait naïvement que l'apparente désaffection pour le foot allait quelque peu soulager sa solitude de marginal. Malik a d'autres passions et quand il s'agit de sport, c'est le judo qui l'a toujours attiré. Il en a fait dans sa tendre jeunesse et à défaut d'une carrière stoppée net par une méchante fracture de l'épaule dont il ne s'est jamais remis, il en garde surtout la philosophie : la maîtrise de soi, l'utilisation de la fougue de l'adversaire, l'effort apaisé et le triomphe serein des forces tranquilles. Malik ne le dit pas, mais il est l'anti football incarné. Il espérait atténuer sa solitude, non pas parce que le judo pouvait «récupérer» les déçus du foot, mais simplement parce qu'il pouvait y avoir moins de fous furieux à le prendre pour un demeuré qui n'aime pas le «sport-roi». Mais chaque année, Malik déchante. Les stades ne sont certes pas pris d'assaut chaque week-end, les palabres du quartier sont moins fréquents et moins passionnés, mais les « grands rendez-vous» sont toujours là pour lui rappeler qu'il est au «banc de la société». Le comble, pour cette fois-ci, c'est qu'il est triplement suspect. Il n'aime pas le foot comme tout le monde, il habite El Harrach sans être supporter des Jaune et Noir et il est Kabyle sans être supporters des Jaune et Vert. Hier matin, comme il faisait trop frais pour aller à la plage, l'idée l'a effleuré d'aller au stade, mais il a vite renoncé à la folie. Il a alors commencé par se procurer un enregistrement de Real-Barça et s'est enfermé chez lui, pour essayer d'aimer le foot. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir