A un jour des élections locales en Espagne, des dizaines de milliers de Madrilènes ont bravé l'interdiction de manifester. Le gouvernement Zapatero peut crier au viol de la trêve électorale, mais avec un taux de chômage record et des retombées économiques funestes, il est impossible d'étouffer la voix d'un peuple européen qui ne sait plus s'il l'est vraiment. La crise économique n'a pas fait que passer par la péninsule ibérique, elle est allée jusqu'à «élire domicile». Ce n'est pas une manifestation à la Puerta del Sol qu'il faut pour blâmer les socialistes au pouvoir. Seul un mouvement citoyen pourrait changer les choses. Très embarrassé, le gouvernement a promis d'agir vite. Non pas pour faire baisser le chômage, mais pour faire respecter la trêve électorale. Ainsi soit-il, le mouvement des indignés n'est pas prêt à plier la bâche face à la police qui s'est faite discrète. Existe-t-il un quelconque lien entre ce mouvement, dit «15M» et les révoltes dans le monde arabe ? Pour le sociologue Jaime Pastor, il y a une similitude évidente : «les révoltés dans le monde arabe sont confrontés à de vraies dictatures et ici, nous avons une démocratie de mauvaise qualité soumise à la dictature du marché.» Du pareil au même, avec les morts, les blessés et les disparus en moins. Parce que des cadavres il y en a eu encore vendredi dernier en Syrie. Pas moins de quarante-quatre, à en croire des militants des droits de l'homme. Déjà mille morts et ce n'est pas encore fini. Le régime de Bachar Al Assad n'avait-il pas pris la sage décision de lever l'état d'urgence et autoriser les manifestations pacifiques comme en Espagne ? Les Syriens auront beau sortir torse nu, preuve qu'ils ne portent pas d'armes et qu'ils ne sont pas ces terroristes que le régime de Damas voit partout, les balles réelles continueront de siffler. A se demander si c'est l'ordre donné du Président syrien qui n'a pas été entendu ou est-ce un leurre qui aurait dû tromper l'attentif Occident. Pourtant, se tenant du côté des peuples arabes en révolte, le président Obama a prévenu que devant Bachar Al Assad un seul et unique choix : ou il se décide à conduire la transition ou l'Amérique et ses alliés se chargeront de le faire partir. De quelle manière si le Secrétaire général de l'Otan, Andres Fogh Rasmussen, a exclu d'emblée une intervention militaire en Syrie ? Pressions diplomatiques et sanctions ciblées auront-elles, au final, raison du régime de Damas alors que celui de Sanaa ne lâche toujours pas prise, le président Ali Saleh s'offre même le temps de proposer une présidentielle anticipée ? Sans un consensus au Conseil de sécurité de l'Onu, les Occidentaux ne peuvent presque rien. Surtout que la Russie a réaffirmé, à la fin du discours d'Obama, que sa position demeure inchangée vis-à-vis de la question syrienne. En l'absence de dialogue national que l'héritier du trône des Assad a promis, par la voix de sa célèbre conseillère, l'allié proche-oriental de Moscou peut-il continuer de tirer sur chaque militant pro-démocratie qui bouge au nom de la non-ingérence dans les affaires internes du pays ? Bien que le bilan des pertes humaines, depuis le début de la sanglante répression, ne soit pas comparable à celui du régime de Tripoli, reste que le gourmand Occident va devoir décroiser ses bras. Quitte à se laisser accuser d'expansionniste, pompeur de pétrole, face à des puissances concurrentes qui ne demandent qu'à être à sa place. Et comme il n'y a jamais de fumée sans feu, un probable mandat d'arrêt international lancé contre la personne de Bachar Al Assad pour crimes contre l'humanité n'est pas à écarter bien que Kadhafi et Omar Al Bachir continuent de l'ignorer. Faudrait-il d'abord passer par la case Conseil des droits de l'homme à l'Onu qui siège à Genève et non pas à Madrid.