Dans cet entretien qu'il nous a accordé, l'ambassadeur du Tchad en Algérie et en Tunisie, Ousmane Matar Breme, apporte une analyse et une vision de son pays par rapport à la situation au nord du Mali. Il répond avec une diplomatie intelligente mais non moins judicieuse à ceux qui tentent d'impliquer l'Algérie dans une intervention au Mali. Il explique pourquoi le paiement de rançons ne pourrait que perpétuer le terrorisme au dépend des pays de la région du Sahel. Il exprime son étonnement quant au rapt de diplomates algériens à Gao, assurant qu'il était «inattendu» au regard des aides accordées par l'Algérie à ce pays. Il répond, également, aux partisans de l'interventionnisme que la solution la plus appropriée pour la crise, dans ce pays, reste les accords d'Alger et de Tamanrasset. Il évalue l'action, sur terrain, de l'Union de fusion et de liaison (UFL), services de renseignements des pays du Sahel. Le Temps d'Algérie : Comment analysez-vous la crise au Mali aujourd'hui ? Ousmane Matar Breme : C'est la crise libyenne et ses conséquences. Tous ces aspects sont un cocktail qui a explosé dernièrement Mali. Il faut rejeter tous les trafics, le grand banditisme et le trafic des armes. Comment voyez-vous l'avenir de la lutte antiterroriste au Sahel ? La lutte n'est pas seulement un problème de gouvernement. C'est aussi un engagement citoyen. L'Etat, de par sa mission, doit favoriser la paix et la sécurité pour le développement. Il doit combattre le terrorisme qui en est un l'obstacle. Mais, je dis que la lutte ne doit pas se limiter à l'action du gouvernement. Toutes les composantes doivent apporter leurs concours, citoyens, associations civiles, partis politiques, militants des droits de l'homme… D'abord, le terrorisme frappe sans distinction, femmes, enfants et personnes âgées. Pour cela, on doit dire qu'il n'a pas d'adversaires indiqués. Aujourd'hui, il y a cette prise de conscience au niveau du Sahel. Solidairement, chaque pays doit participer. Nous avons des difficultés avec des rebelles et les guerres. Nous sommes pour la paix et la sécurité, pour cela les gouvernements doivent mettre les moyens pour juguler le terrorisme. Nous sommes conscients des dangers. Et un seul pays ne peut pas à lui seul le traquer, l'éradiquer. Nous sommes tout à fait prêts à aller dans ces sens, celui du renforcement de la coopération entre les Etats de la région. Nous estimons que nos gouvernements sont tout à fait au fait de la question. Nous sommes toujours prêts pour combattre le terrorisme et le banditisme dans toutes ses formes, sinon le développement risque d'être contrarié dans la zone. La situation au Nord du Mali, n'arrange pas les choses, selon vous ? Il faut une concertation permanente entre tous les pays du Sahel qui doivent mettre en place une stratégie et des mécanismes dans un cadre collectif. Il faut faire appel à la prévention et à la sensibilisation, et si nécessaire à la force pour juguler le problème de la prolifération du terrorisme sous différentes appellations. C'est l'un des buts recherchés par le séminaire organisé du 8 au 10 avril par le CAERT et l'UFL à Alger ? Le séminaire parrainé par le centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme (CAERT) et l'unité de fusion et de liaison (UFL), a été, naturellement, organisé dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. Il fallait identifier les phénomènes. Comment prévenir les populations, arrêter ce processus de radicalisation. Un séminaire qui dit certainement, assurer une amélioration de l'approche de lutte. Au-delà des recommandations la participation a réuni des parlementaires qui doivent élaborer un nombre de lois, de conférences aux résolutions relatives à des questions des droits de l'homme, il y a également les religieux, les associations dans la société civile, donc des leaders d'opinions qui peuvent impacter sur les populations et entreprendre des actions de prévention des dangers venant du terrorisme. Nous avons, également, estimé que les couches qui peuvent être vulnérabilités, peuvent basculer dans la radicalisation. Ce sont les couches pauvres, ciblées par les discours extrémistes et haineux des terroristes. Il faut y répondre par, entre autres, la relance économique et la levée de toutes les discriminations qui peuvent inciter les gens à adhérer à ces mouvements. Je pense que, par définition, que le terrorisme n'est pas un phénomène national. Il n'a pas de frontières. On ne peut pas concevoir que quelqu'un qui aime son pays, sa nation, va vers le terrorisme. On doit travailler sur l'amour de la patrie. Des observateurs estiment que les terroristes investissent les villages marginalisés pour recruter leurs éléments. Qu'en pensez-vous ? Nous devons, justement, sensibiliser les populations contre la radicalisation, thème d'ailleurs choisi pour le séminaire d'Alger, organisé par le CAERT et l' UFL qui fait un excellent travail sur le terrain, en direction des populations concernées. Les gens ont vécu dans des difficultés mais n'ont jamais accepté de servir le terrorisme. Il faut, d'abord, aimer son pays et éviter de tomber entre les crocs du terrorisme qui n'a ni foi ni loi. C'est pour préserver nos intérêts nationaux qu'on doit s'élever contre le terrorisme. Nous aurons de la peine et regretterons si nous demeurons indifférents à la lutte contre le terrorisme. Justement, comment évaluez-vous l'action de l'UFL ? L'action est tout à fait salutaire, comme je disais. La campagne de sensibilisation doit être amplifiée contre la radicalisation, prônée par le terrorisme qui adopte, au fur et à mesure, de nouvelles stratégies. Il faut, maintenant, saluer ce travail fait par l'UFL et l'accompagner. Nous devons arriver à dissuader les populations à travers une stratégie plus présente. Il faut que les pays du champ mettent en place une structure de sensibilisation dans chaque village, identifier ce qui véhicule le langage de la radicalisation et essayer de stopper les choses à temps, de manière à contrecarrer la stratégie du terrorisme. Il y a certainement nécessité d'un travail de sensibilisation. Il faudrait également suivre ce phénomène. Parce qu'on ne peut pas stopper instantanément le terrorisme, c'est un processus entre tous les Etats qu'il faut impliquer. C'est pour cela que je dis qu'il faut élargir le champ de sensibilisation. Parce qu'on peut tous être victimes de la radicalisation. Si le terrorisme s'installe on n'a plus de développement et tout le monde va en pâtir. C'est pour cela que tout le monde doit participer. Parlez-nous de la coopération bilatérale algéro-tchadienne ? La coopération bilatérale est très excellente. L'Algérie est un pays qui compte. Les relations sont tout à fait particulières. De ce côté-là, nous ne nous plaignions pas. Nous avons agi pour que cette coopération s'élargisse davantage dans tous les secteurs. Cette convergence de vues dans tous les domaines, nous amène, dans un proche avenir, à améliorer le cadre de cette coopération. Nous sommes tout à fait fiers des relations des deux présidents Bouteflika et Drissi Habré. Que diriez-vous à ceux qui souhaitent que l'Algérie intervienne, militairement, au Mali ? Je pense que l'Algérie partage avec le Mali des relations particulières. Nos deux pays ont déploré le putsch et demandé le retour à l'ordre constitutionnel. L'Algérie a réaffirmé l'unité du Mali. Nous avons estimé que la question de l'intégrité du Mali est indiscutable. Il fallait mettre en place tous les mécanismes pour ramener la paix dans ce pays. Il y a eu les accords d'Alger et de Tamanrasset, qui peuvent toujours réussir. L'Algérie est réputée pour le respect de ses principes de non ingérence dans les affaires internes des pays. Il y a, aussi, d'autres intervenants, dont le CEDEAO, qui peuvent jouer un rôle. Il serait plus judicieux de savoir comment utiliser tous ces mécanismes pour pouvoir régler de manière pacifique tous ces problèmes. Il existe des questions qu'on ne discute pas, l'alternance au pouvoir, par le biais des urnes. Donc, pour ceux qui tentent d'impliquer l'Algérie, pour une intervention étrangère au Mali, je leur dis que les accords d'Alger et de Tamanrasset sont à même de régler le problème. L'Algérie est un pays qui n'accepte pas de s'ingérer dans les affaires internes des autres pays. Elle respecte la légalité internationale. Et que diriez-vous à ceux qui oeuvrent pour une intervention étrangère au Mali ? Nous avons déploré, comme tout le monde, le coup d'état du Mali qui a dégradé la situation et donné la possibilité à la multiplication de groupes armés. Nous avons dis qu'il y a d'abord les accords d'Alger et de Tamanrasset pour régler les problèmes. Donc, il ne faut pas prêter le flanc à l'AQMI. On devrait construire un dialogue et à négocier mais il y a des problèmes, effectivement, mais qui peuvent, cependant, être réglés. Nous avons vu que l'armée du Mali est désarticulée, devant l'offensive des rebelles et des terroristes. Il faut trouver les moyens de restructurer cette armée pour qu'elle puisse assumer sa mission et assurer l'intégrité de ses frontières. Comment qualifiez-vous l'enlèvement de diplomates algériens à Gao au nord du Mali ? Premièrement, nous déplorons ce qui s'est passé parce que l'enlèvement de diplomates ne peut être justifié d'aucune manière. L'Algérie a beaucoup aidé le peuple malien, donc, à priori, on ne doit pas s'attendre à ces enlèvements, sachant que l'Algérie a beaucoup investi à ramener la concorde au Mali, dont le nord du pays. Elle a accueilli sur son sol des réfugiés et déployé une assistance humanitaire. Donc, on ne sait pas, jusque-là, quels sont les vrais mobiles de cet enlèvement. Les auteurs de cet acte n'ont jusque-là pas fait connaître leurs revendications. Ce sont donc des groupes terroristes qui ont attaqué le consulat. Une agression injustifiable au regard de ce que fait l'Algérie à l'égard du Mali et pour toute la région. Abderrazak El Para a été arrêté au Tchad, il y a quelques années, avant son extradition vers l'Algérie…Que pouvez-vous nous dire sur cette affaire ? Les terroristes ont quitté les territoires algériens parce qu'ils ont été battus militairement par l'armée algérienne. Ils sont passés par le Niger pour arriver au Tchad. Il y a eu beaucoup de tentatives du genre mais toujours vouées à l'échec grâce aux forces tchadiennes. Le terrorisme n'a pas de nationalité. Nous sommes très vigilants sur la question et pour la coopération entre les différents pays. Nous avons reçu, hier, le président nigérien, et décidé de renforcer la coopération pour faire face au terrorisme. Nous sommes tout à fait dans un élan de solidarité entre les pays du champ. On l'a fait par le passé, et on continue à le faire aujourd'hui. Comment expliquez-vous la multiplication, aujourd'hui, de groupes armés dans la région du sahel ? Le terrorisme ne cesse de s'amplifier. D'ailleurs, le mouvement Boko Haram cherche à se faire une connexion dans ce qui se passe au nord du Mali. Le terrorisme, dont l'AQMI, se finance par le biais de rançons. Quel est votre point de vue sur cette question ? Le paiement des rançons n'est pas une solution qu'il faut encourager parce qu'elle est une source d'appui au terrorisme. Plus on leur donne de rançons, plus on les incite à continuer. Il faut adopter la fermeté, le développement de moyens de riposte pour couper tout appui aux terroristes et les traquer. C'est de cette manière qu'on peut en arriver à bout. Il faut que la population soit sensibilisée. Les pays ne peuvent pas tout contrôler, il y a des pays très sensibles à leurs opinions publiques. Je dis que malgré tout cela on ne doit pas payer de rançons, ça perpétue le terrorisme. L'armée tchadienne avait réussi aussi à mettre hors d'état de nuire un nombre d'éléments de l'AQMI … Cette performance de l'armée tchadienne est favorisée par l'engagement du chef de l'Etat, décidé à éradiquer le terrorisme et à empêcher qu'il se transforme ces zones de passage, il faut dire aussi que cette action est facilitée par la population, notamment aux frontières ouest. Les chefs traditionnels et les populations, en général, sont tout à fait sensibilisés collaborent avec les autorités tchadiennes. Il y a eu beaucoup de tentatives de la part des terroristes de l'AQMI mais elles ont échoué grâce au concours de la population. C'est pourquoi j'ai dis qu'il faut développer la stratégie d'informations parce que lutter contre le terrorisme nécessite réellement un engagement de la part des populations de chaque pays. Le Tchad avait son organisation rebelle se dénommant Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad. Qu'en est-il, aujourd'hui ? Dans la zone nord du pays, dans la région de Tibesti, à la fin des années 1990 et début des années 2000, c'était un peu le repère du MDJT, dirigé par Youcef Tougouymi. Ce mouvement a été défait, militairement. Ensuite les petites poches qui restaient ont répondu à la main tendue par le chef de l'Etat. Ils sont rentrés et jouissent de tous les droits et ils défendent aujourd'hui leurs opinions à travers des partis politiques.