Assistons-nous à la mort de l'art algérien de construire et à l'inexorable disparition des métiers algériens de maçonnerie ? C'est la question que se posent de nombreux observateurs qui constatent avec regret qu'aujourd'hui, trouver un maçon algérien relève de l'impossible. Le triste constat est partagé aussi par les opérateurs du secteur du bâtiment qui estiment que la disparition des géants Cosider, Coopemad, DNC et autres Ecotec, qui avaient formé des cohortes de maçons a précipité la disparition des métiers dits de maçonnerie. «La fermeture de ces entreprises et le départ à la retraite, parfois anticipée, des maçons et autres ouvriers, ont poussé ces travailleurs manuels à opter pour de nouveaux métiers», affirme le gérant d'une entreprise de bâtiment. Ce dernier n'hésite pas d'ailleurs à affirmer qu'il recourt de temps à autres aux services de maçons chinois, qu'il débauche les week-ends pour faire avancer les travaux dans ses projets. «C'est pour moi la seule solution pour livrer dans les délais mes projets. Je sais que je suis en train d'enfreindre la loi sur l'emploi de travailleurs étrangers, mais que voulez-vous, trouvez-moi des maçons qualifiés, je suis preneur». Il y a quelques mois, au cours d'une journée d'études sur le phénomène de l'émigration clandestine organisée à l'université d'Oran, des spécialistes avaient relevé que les entreprises chinoises installées en Algérie pour la réalisation de projets du BTPH éprouvaient d'énormes difficultés à trouver de la main-d'œuvre qualifiée dans les métiers de la maçonnerie. «Des métiers comme maçon, carreleur, plâtrier et même menuisier se perdent. Ils n'existent même plus d'ouvriers sur le marché. Les centres de formation, malgré la panoplie de spécialités qu'ils offrent, n'enregistrent qu'un faible taux d'inscription pour des stages dans ces spécialités», avait affirmé le responsable d'un centre de formation professionnelle. Les entreprises étrangères qui ont réussi à décrocher des marchés en Algérie éprouvent cette difficulté. Pour elles, le problème est vécu avec acuité puisqu'elles sont tenues, par le contrat signé, de réserver un pourcentage des postes qu'offre leur activité à la main-d'œuvre locale. La filière des plâtriers marocains Il y a quelques mois, des plâtriers algériens avaient dénoncé ce qu'ils avaient qualifié de concurrence déloyale de leurs pairs marocains, «qui s'installent illégalement en Algérie pour nous prendre les rares opportunités d'emploi qui s'offrent. Certes, ils ont un savoir-faire hors du commun, mais nous pouvons l'égaler si l'occasion nous est offerte. Ces derniers sont utilisés par des intermédiaires qui se chargent de les faire venir en Algérie, de leur trouver du travail, de les héberger et même de transférer leur argent à leurs familles installées au Maroc», dira un plâtrier d'Oran. Très loquace, ce dernier dénoncera un véritable trafic qui a cours à l'ouest du pays. «Ces plâtriers sont sollicités via des rabatteurs installés généralement dans les localités de la bande frontalière. Ils sont placés dans des chantiers. Ils travaillent au noir, et gare à celui qui veut s'affranchir et travailler à son propre compte, il est très vite dénoncé comme travailleur clandestin, arrêté et expulsé au Maroc», fera-t-il remarquer. Cette situation a poussé un grand nombre d'auto-constructeurs à se rabattre sur la main- d'œuvre chinoise et marocaine «qui offre un meilleur rapport qualité-prix», affirment plusieurs sources. «Je voulais terminer la façade de ma maison, et à ce jour, tous les maçons algériens que j'ai sollicités m'ont indiqué qu'ils ne sont pas en mesure de mener les travaux que j'ai souhaité. Pour eux, ils préfèrent couler le béton d'une plateforme ou d'une dalle plutôt que perdre leur temps dans un travail qui nécessite de la concentration. On m'a proposé des ouvriers marocains et je crois que je suis contraint d'avoir recours à leurs services», dira un citoyen. C'est une véritable crise que vit le secteur du bâtiment qui vient de perdre plusieurs filières de métiers. Les centres de formation professionnelle ne savent plus comment faire pour séduire les jeunes contraints d'abandonner les bancs des écoles. «Pour les jeunes, les métiers de la maçonnerie ne sont pas valorisants. Et de plus, il faudrait créer des géants du BTPH à l'instar de la défunte DNC pour absorber les cohortes de futurs diplômés et surtout leur offrir l'occasion d'aspirer à un plan de carrière stable et de consolider leur savoir-faire. Autrement, nous aurons toujours besoin des maçons chinois ou marocains pour la moindre petite bricole de maçonnerie à la maison», dira un entrepreneur oranais. Mais en attendant, le BTPH qu'on qualifie de véritable filon d'opportunités d'emploi trouve du mal à trouver de la main-d'œuvre…