La Libye a voté hier pour la première fois depuis 60 ans pour élire le Parlement national qui devra rédiger la future Constitution. C'est une page de l'histoire de ce pays maghrébin qui est tournée, une année et demie après le début de la révolte populaire née à Benghazi avec l'appui aérien de la coalition militaire internationale pilotée par la France, et huit mois après le lynchage de Mouammar Kadhafi à Syrte par les groupes rebelles. Les élections en Libye avaient toujours été interdites, d'abord par le roi Idriss Senoussi, puis par le colonel qui l'a déchu en 1969, pour mettre en place un système original dans le monde arabe, celui des Comités Populaires.
La menace de la partition territoriale La transition politique engagée depuis la chute de l'ancien régime de la Jamahiriya s'est avérée plus compliquée que dans les pays voisins touchés par la contagion du «printemps arabe». En Tunisie et en Egypte, les institutions des dictatures de Zine Kadhafi Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak ont, malgré tout, servi au lancement du processus démocratique qui a ouvert les portes du pouvoir aux islamistes dans le premier pays comme dans le second. La Libye, pays de tribalisme par excellence, est à la différence de ses deux voisins sans institutions étatiques d'appui à la transition et sans tradition de vote. Ce vide fait planer à ce jour tous les doutes sur l'avenir institutionnel de ce pays qui vit depuis la mort de Kadhafi sous la menace d'une partition du territoire national. Voilà quelques mois, un groupe de 300 notables de la Cyrénaïque (ouest du pays) avait prononcé l'autonomie administrative et politique de cette riche zone pétrolière. Ce fut un pas vers la partition du territoire national entre ses trois principales régions historiques : la Cyrénaïque, la Tripolitaine (partie est du pays) et Fezzan (Sud). Ces conflits d'origine ethnique et surtout la grande menace des salafistes qui ont pris une part active à la chute du régime libyen ont plongé le pays dans l'instabilité politique ces derniers mois. Les djihadistes entrent dans la légalité Malgré tout, le Conseil national de transition présidé par Mustapha Abdeljalil et le Gouvernement provisoire de Abdelkrim Elkib ont pu, avec le soutien de l'Onu, organiser ce scrutin pour choisir 200 membres du futur Parlement parmi 4000 candidats. 120 sièges seront attribués aux indépendants, 100 à la région de la Tripolitaine, 60 à la Cyrénaïque et 40 à Fezzan. Cette répartition des sièges a soulevé des protestations en Cyrénaïque où le Conseil fédéraliste Barka qui est à l'origine de l'autonomie de cette région a appelé au boycott des élections. L'appel a été entendu par les adversaires du «pouvoir de Tripoli» qui ont pris d'assaut des dizaines de bureaux de vote à Benghazi et surtout à Adjdabiya et Tobrouk, deux dernières villes d'où sont originaires les djiahadiste d'Irak et d'Afghanistan. A l'est du pays, les milices ont carrément coupé les routes pour paralyser la préparation des élections, obligeant les autorités de Tripoli à transporter les urnes et les bulletins de vote par hélicoptère. Ces scènes de violences n'ont rien de comparable avec les dépassements enregistrés dans les mêmes occasions dans les pays voisins. Un pronostic sur les résultats des urnes dans ce pays sans tradition électorale serait hasardeux. Il demeure toutefois évident que la Libye ne fera pas exception à la règle de l'arrivée systématique au pouvoir des islamistes dans les pays du «printemps arabe». Curieusement, c'est la guerre dans ce pays qui a forgé la légitimité des fondamentalistes. Ancien de Guantanamo que Kadhafi a jeté en prison après son extradition par la CIA vers son pays d'origine, l'«afghan Abdelkrim Belhadj, principal artisan de la prise d'assaut de la résidence de Kadhafi à Bab Kadhafi Azizi, est aujourd'hui un personnage politique qui pèse sur les grands choix politiques de son pays. Ce djihadiste peut compter sur le soutien des cinq partis politiques en lice pour le scrutin d'hier qui sont d'idéologie islamiste. L'atout pétrole La Libye ne sera pas donc l'exception démocratique dans le nord de l'Afrique. Loin de là. La configuration islamiste du futur parlement paraît évidente et il ne fait aucun doute aux yeux des observateurs qu'à l'ex-Jamahiriya va succéder une république islamique où l'application de la chari'a ne posera pas problème dans une société profondément conservatrice et mal préparée à la culture démocratique. L'exception, c'est en fait l'Algérie qui a su adroitement négocier son processus démocratique avant le lancement par George Bush du projet du nouveau monde arabe à la suite de l'invasion américaine en l'Irak en 2003. Avec la prévisible arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, Bush avait décidé de passer la main à Nicolas Sarkozy pour faire le travail en Libye. Cette dernière n'a certes pas hérité d'institutions politiques modernes comme ses voisins et ne sera vraisemblablement pas encore, dans le moyen terme, une démocratie à proprement parler. La priorité de ses futures institutions élues, le parlement et le gouvernement, sera d'assurer la stabilité politique. La démocratie viendra plus tard si les islamistes ne verrouillent pas le cadre constitutionnel «à l'iranienne», comme hélas on peut le redouter. Mais contrairement aux autres pays du «printemps arabe», une crise sociale est exclue. Les futurs dirigeants ont de quoi acheter la paix sociale.