L´ancienne ambassadeur américaine au Mali Vicky Huddleston a jeté un pavé dans la mare, jeudi, en faisant des révélations fracassantes par leur précision sur le montant de la rançon versée en 2011 par Nicolas Sarzkoy pour obtenir la libération des otages français détenus dans le Nord du Mali. Le paiement de rançons, tout le monde savait qu´il avait eu lieu – on ignorait seulement son montant – mais Paris a su garder un mutisme absolu autour de cette affaire classée taboue par l´Elysée. Fait gravissime toutefois, forcé de répondre à ce qui était devenu une évidence admise à voix basse dans les chancelleries, Paris avait officiellement nié avoir payé. Avec les révélations de la diplomate américaine, c´est toute la crédibilité de l´Etat français et de sa diplomatie qui est dès lors mise en cause. 17 millions d´euros, c'est une somme colossale en une seule opération. Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a amassé en tout près de 90 millions d´euros pour acheter des armes aux groupes terroristes qui sévissent dans le Nord de l´Algérie, et s´acheter la complicité des populations du Sahel parmi les plus pauvres au monde. Or, la France n´est pas le seul pays à avoir payé et menti. D´autres gouvernements européens ont eux aussi eu recours à ces pratiques illégales en Etat de droit. La justice européenne ira-t-elle jusqu´à ouvrir une information judiciaire en France, en Espagne ou en Italie où les gouvernements de ces pays ont payé et menti ? Le cas de l´Espagne est même un peu particulier. Ce pays détiendrait jusque-là le record des versements de rançons par divers canaux. Afin de brouiller les pistes et à la manière des maffias qui ne touchent pas directement à la came, la plupart des gouvernements occidentaux, européens essentiellement, ont eu recours pour ce travail à des intermédiaires (sociétés employeuses des ex-otages, associations discrètes et même des intermédiaires impliqués dans le blanchiment d´argent). Sarkozy aurait utilisé les notables de la région et le gouvernement malien. Zapatero a effectué des virements d´origine «obscure» sur les comptes de son ambassade à Nairobi. Le niet des Etats-Unis ! Al Qaïda au Maghreb islamique a amassé, entre 2003 et 2011, près de 100 millions d´euros en contrepartie de la remise en liberté des otages qui sont originaires d´Allemagne, d´Autriche, d´Espagne, d´Italie, de France ou du Canada. Rares sont les pays qui, comme le Royaume-Uni, ont refusé ce chantage sans céder à la menace de tuer un Britannique enlevé à la fin de la décennie écoulée au Sahel, hélas mise à exécution par les hommes de Mokhtar Benmokhtar et d´Abdelhamid Abou Zaid. Jamais plus Al Qaïda au Maghreb islamique n´a alors ciblé de citoyens britanniques et américains, les Etats-Unis étant eux aussi fermement opposés au paiement des rançons. Depuis, les preneurs d´otages ciblaient exclusivement les Occidentaux dont les gouvernements paient et font pression sur des pays comme le Mali ou la Mauritanie pour satisfaire à la seconde condition qui est la libération des salafistes incarcérés à Bamako et Nouakchott. Nicolas Sarkozy avait dépêché à cette fin, en 2009, son ex-ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et les autorités maliennes ont aussitôt élargi quatre dangereux terroristes dont deux d´entre eux étaient activement recherchés en Algérie. L´Espagnol Miguel Angel Moratinos, le chef de la diplomatie de José Luis Zapatero, emboîtera le pas à son collègue français pour négocier avec le gouvernement mauritanien la libération de Sahraoui, le terroriste qui avait enlevé en décembre 2009 trois Catalans en Mauritanie. Madrid et Paris, entre autres capitales européennes, ont versé jusqu´à 5 millions d´euros par tête d´otage. Depuis qu´en 2003 les gouvernements allemands et autrichiens avaient payé Mokhtar Benmokhtar qui avait enlevé une trentaine de ressortissants de ces deux pays dans le Tassili, dont la moitié avait été libérée par les forces spéciales de l´ANP, ce fut le départ d´une ère juteuse pour les groupes terroristes qui commençaient à s´implanter durablement au Sahel où les institutions et les Etats sont absents. Rapidement, le marché du trafic d´armes connaîtra un essor grâce aux prises d´otages qui vont se multiplier jusqu´à la guerre de Libye qui offrira aux terroristes d´Aqmi et du Mujao un marché de missiles, de roquettes et de matériel de guerre lourd. C´est avec ce matériel que Mokhtar Benmokhtar s´est équipé pour tenter la prise d´otages spectaculaire d´In Amenas. Le chef terroriste a mis les moyens qu´il fallait pour réussir son coup et séquestrer plus de 600 personnes à la fois dont plus d´une centaine d´étrangers. Il manquait à son plan deux paramètres qu´il avait sous-estimés : l´un militaire, la capacité de réaction rapide des forces spéciales algériennes qui ont bouclé la zone en un rien de temps, et l´autre politique, le refus du gouvernement algérien de négocier les conditions posées par les terroristes. Comme toujours, celles-ci sont financières, le paiement de rançons faramineuses et la libération de salafistes incarcérés en Algérie ou à l´étranger. Le plan de Benmokhtar est un échec total. L´Algérie qui est auteur d´un projet de résolution à l´ONU sur la criminalisation des paiements de rançons par les gouvernements d´origine des otages a reçu le soutien des Etats-Unis alors que la plupart des gouvernements occidentaux se sont rendu compte qu´elle avait raison de rester ferme sur cette question. Avec les dernières révélations de la diplomate américaine, elle dispose d´une pièce à conviction-clé à verser au dossier qui est sur la table de l´ONU.