"Tout ce qu'on veut, c'est la paix pour vivre tranquillement. Boko Haram ce n'est pas la paix", affirme Salah Abakar, pêcheur camerounais de 37 ans sur le lac Tchad dans la zone des trois frontières Tchad-Cameroun-Nigeria, où pourrait être cachée la famille de sept Français enlevée le 19 février. "On a peur de Boko Haram. Ils viennent, ils tuent au Nigeria. On ne veut pas qu'ils viennent ici", poursuit-il sur les berges du petit village de Blaram située à l'entrée du lac. "On espère tous qu'on va retrouver les Français", assure-t-il. Des hommes disant appartenir au groupe islamiste ont revendiqué l'enlèvement de la famille française dans le nord du Cameroun et certaines sources pensent qu'ils pourraient cacher leurs victimes dans la région du lac Tchad. Les ravisseurs ont évoqué "la guerre contre l'Islam" menée par la France, une possible référence à l'intervention de l'armée française au Mali contre les groupes islamistes armés. Boko Haram a relancé son insurrection en 2009 au Nigeria où les attaques dans le Nord et le centre et leur répression ont fait environ 3.000 morts. Les populations du nord du Cameroun affirment avoir peur de la contagion, dans une zone où les frontières ont été dessinées lors de la décolonisation, séparant des mêmes ethnies. "Nous sommes très préoccupés, explique le sultan de Kousseri, Abba Mahamat Moussa, principal chef traditionnel de l'Extrême nord du Cameroun. Avant, ils (Boko Haram) ne venaient pas au Cameroun. Là, c'est la première fois qu'ils agissent ici et ils prennent une famille avec des enfants. Ca nous fait peur. "Nous espérons et nous prions pour que la famille puisse retrouver les siens en bonne santé", affirme le sultan, qui a envoyé des "directives" pour qu'on signale tout événement sortant de la normale. A Makary, petite ville à majorité musulmane au sud du lac Tchad, un commerçant, Ibrahim Koigama, 32 ans, assure: "On a peur qu'ils viennent. Les musulmans ici ne sont pas de Boko Haram. L'armée est venue ici chercher les Français mais ils n'ont rien trouvé". Près de la petite mosquée, une petite case modeste avec des nattes sur le sol, les fidèles refusent de parler de la secte islamiste. Le syndrome est similaire dans beaucoup de villages, où les têtes se baissent et les bouches se ferment dès les mots Boko Haram prononcés. A Dabanga, là où les Français ont été enlevés, à quelques centaines de mètres du Nigeria, les habitants adoptent majoritairement une attitude muette. "Il faut les comprendre. Le Nigeria est là", explique une source sécuritaire. A Darak, sur la frontière avec le Nigeria, rares sont les personnes qui acceptent de parler: "Je suis musulman mais je n'aime pas Boko Haram. Boko Haram, ce n'est pas l'islam", affirme un père de trois enfants. D'autres assurent toutefois: "C'est au Nigeria, pas ici. Ici, il n'y a pas Boko Haram. Pourquoi avoir peur?" Une source sécuritaire précise que le Cameroun et le Tchad, voisins du Nigeria, représentaient jusqu'à aujourd'hui plutôt des refuges pour des militants du groupe. "Ils n'avaient jamais agi ailleurs avant. Ils ont surpris tout le monde". A Blangoua, arrondissement de 50.000 habitants située sur le Logone qui se jette dans le lac Tchad, le prêtre de la ville, Jean-Paul Sano, reconnait que certains fidèles ont "peur" et soulignent que "le Nigeria n'est pas loin". "Les gens savent qu'il y a probablement des Boko Haram cachés parmi nous", poursuit-il, soulignant que chrétiens et musulmans vivent ensemble sans aucun problème depuis des années au Cameroun. Un responsable camerounais souligne: "Nous surveillons de près. On ne veut pas de Boko Haram ici".