L'organisation des droits de l'homme Human Rights Watch a publié lundi un rapport accablant sur le procès des 24 prisonniers civils sahraouis de Gdeim Izik condamnés en février dernier à de lourdes peines par le tribunal militaire de Rabat, soulignant que ce procès a été "entaché d'irrégularités" et que la justice marocaine "a sapé la crédibilité de son propre procès". Pour cette ONG, basée à New York, "le Maroc devrait libérer les Sahraouis condamnés ou bien leur accorder un nouveau procès, équitable cette fois, devant un tribunal civil". Dans son rapport détaillé sur cette affaire, elle soutient que le Maroc "devrait également mettre en œuvre la recommandation récente de son Conseil national des droits de l'Homme, celle de mettre fin aux poursuites de civils devant les tribunaux militaires en temps de paix", rappelant que le roi Mohammed VI s'était, pourtant, "félicité" de cette recommandation le 2 mars. La décision de traduire des civils devant un tribunal militaire "a violé les principes de base internationaux relatifs aux procès équitables", a déclaré Human Rights Watch. Apparemment, note le rapport, "le tribunal a accepté les aveux des accusés comme preuves, sans enquêter sur les affirmations des accusés selon lesquelles ces aveux résultaient de la torture". "Ils ont déclaré être innocents de toutes les charges contre eux. Les autorités devraient accorder aux accusés le droit d'être rejugés par un tribunal civil et les placer en liberté provisoire tant qu'il n'a pas établi de motifs valables pour justifier leur détention provisoire", a déclaré Human Rights Watch. "Le jugement écrit du tribunal ne détaille pas les preuves sur lesquelles il s'est fondé pour déclarer coupables tous les accusés. Vu qu'il ne mentionne aucune autre pièce à conviction, le verdict semble bien reposer sur les aveux contestés des accusés à la police", observe le rapport. Or, "le tribunal a rejeté les requêtes présentées par la défense d'enquêter sur les allégations des accusés, selon lesquelles les policiers les ont torturés et forcé à signer des procès-verbaux qu'ils n'avaient pas lus", a souligné l'organisation. Lors d'un éventuel nouveau procès, "le tribunal devrait enquêter sur les allégations de torture faites par les accusés et garantir, conformément au droit international et marocain, qu'aucune déclaration obtenue par la violence ou sous la contrainte ne soit acceptée comme preuve", a aussi déclaré Human Rights Watch. Par ailleurs, Human Rights Watch rappelle que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan Mendez, avait déclaré dans son rapport sur le Maroc, publié en février dernier, qu'en ce qui concerne le Sahara occidental, "la torture et les mauvais traitements sont pratiqués pour extorquer des aveux et que les agents de la force publique marocains font un usage excessif de la force à l'égard des manifestants sahraouis". A partir de toutes ces données, Human Rights Watch a émis plusieurs recommandations exhortant les autorités marocaines concernées de "soit libérer, soit faire rejuger rapidement les accusés sahraouis par un tribunal civil". Avant tout nouveau procès, insiste-t-elle, "il convient de partir du principe que les accusés seront en état de liberté jusqu'à ce qu'ils soient jugés". Quand les accusés seront rejugés, "le tribunal devra étudier leurs allégations de torture et garantir, conformément au droit international et marocain, qu'aucune déclaration obtenue par la violence ou sous la contrainte ne soit admise comme preuve", souligne-t-elle. "Si le tribunal décide d'admettre comme preuve une déposition de police dont l'accusé affirme qu'elle a été extorquée sous la torture, il devra expliquer dans son jugement écrit pourquoi il a décidé que ces allégations de torture ou de contrainte abusive n'étaient pas crédibles", recommande-t-elle encore. De surcroît, "les législateurs devraient amender le Code de justice militaire de façon à ce que les civils accusés soient toujours jugés par des tribunaux civils et non militaires, comme l'a récemment recommandé le Conseil national des droits de l'Homme du Maroc". Pour sa part, la directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, Sarah Leah Whitson, a noté que "le ministère public du Maroc n'a pas su établir de façon crédible, après 26 mois de détention provisoire pour la plupart des accusés, que ces derniers soient responsables des violences". Elle a souligné, en outre, que "la justice marocaine a sapé la crédibilité de son propre procès en traduisant ces accusés sahraouis civils devant les tribunaux militaires, en passant outre les normes internationales d'un procès et en les privant du droit à faire véritablement appel". Le tribunal militaire de Rabat avait condamné neuf accusés sahraouis à perpétuité, 14 à des peines allant de 20 à 30 ans de prison et deux autres aux deux années de prison qu'ils avaient déjà purgées. Avant leur procès, qui a été critiqué aussi bien par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU que par les organisations internationales des droits de l'homme, les accusés sahraouis avaient été incarcérés depuis les évènements du camp de Gdeim Izik, proche d'El Ayoun dans le Sahara occidental occupé, où ils avaient participé, en novembre 2010, à l'organisation d'un camp de protestation pacifique.