D'un revers de la main, Washington a balayé les déclarations, sur l'Irak, des inspecteurs de l'ONU. Présentant, vendredi, leur nouveau projet de résolution, légèrement amendé, les Etats-Unis ont quasiment sommé le Conseil de sécurité de les suivre, ou plutôt de les approuver, dans leurs aventures guerrières en Irak. C'est ainsi, que Washington a fixé tant, au Conseil de sécurité, qu'à l'Irak, une date butoir, le 17 mars, à l'issue de laquelle le Comité exécutif des Nations unies devait se prononcer sur le projet de résolution amendé, et Bagdad avoir «complètement désarmé». Ainsi, ce n'est plus le Conseil de sécurité qui décide de la paix et de la guerre -ou, à tout le moins, donner sa lecture du Chapitre VII de la Charte de l'ONU (lequel autorise, en cas de nécessité, le recours à la force)- mais bien le triumvirat qui s'est institué conscience du monde. Selon le projet amendé, qui fait référence à l'ensemble des résolutions votées par l'ONU ces dernières années dans le cadre de la crise irakienne, les cosignataires, Washington, Londres et Madrid, proposent que le Conseil de sécurité, «agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU: 1. Réaffirme la nécessité d'appliquer intégralement la résolution 1441 (2002)», 2. Demande à l'Irak de prendre immédiatement les décisions qui s'imposent dans l'intérêt de son peuple et de la région «3. Décide que l'Irak n'aura pas saisi la dernière possibilité qui lui était offerte par la résolution 1441 (2002) à moins que, le 17 mars 2003 ou avant cette date, il n'ait conclu que l'Irak a fait preuve d'une coopération entière (...)» Or, d'ores et déjà les Etats-Unis, comme l'a réitéré le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, estiment que l'Irak ne s'est pas conformé à la résolution 1441 et se trouve en «violation patente». Ce que l'ambassadeur britannique, auprès de l'ONU, Jeremy Greenstock, résume à sa manière déclarant à la presse, qui le pressait de questions, que l'Irak, selon lui, aura «perdu sa dernière opportunité». Affirmant: «Oui, il doit y avoir une action militaire» quand il lui fut demandé de préciser la signification de la date butoir du 17 mars. Américains et Britanniques auront ainsi carrément balayé les dernières informations données par les chefs des inspecteurs en désarmement, MM.Blix et El-Baradei, lesquels, sur maints points, ont infirmé ce que les Américains avançaient comme vérité, démentant même certaines de leurs allégations. Hans Blix a salué «l'accélération» par Bagdad des «ses activités de désarmement depuis janvier» estimant que la destruction des missiles Al Samoud 2 est «une mesure essentielle». Plus clairement, le chef de l'Aiea, Mohamed El-Baradei, après avoir affirmé qu'aucun «signe d'activité nucléaire n'a été relevé» indique qu'il «est faux de prétendre que Bagdad ait tenté d'acheter de l'uranium au Niger». Pour ce qui est des tubes d'aluminium suspects découverts sur le terrain, M El-Baradei indique que «rien ne laisse à penser qu'ils soient destinés à un usage prohibé». L'une dans l'autre, les déclarations des experts de l'ONU auraient dû, sinon conforter la position de Bagdad, à tout le moins donner un peu plus de temps aux inspecteurs de faire un travail crédible. Ce que d'ailleurs réclamait Hans Blix, lorsqu'il affirme qu'en dépit de la coopération de l'Irak, son désarmement «ne prendra pas des semaines ou des années, mais des mois». M.Powell accuse Bagdad de «tromperie», cela revient quelque part à dire que les rapports des experts onusiens sont, eux aussi, mensongers, puisqu'ils ouvrent l'espoir à un désarmement pacifique de l'Irak, alors que Washington a décidé que seule la guerre reste indiquée dans cette perspective. D'où la bataille féroce qui se déroule dans les couloirs du Conseil de sécurité où les pays indécis sont l'objet de très fortes pressions de la part des Etats-Unis, qui ne lésinent sur aucun moyen, y compris le chantage économique, pour convaincre ces pays non permanents (Angola, Cameroun, Chili, Guinée, Mexique et Pakistan) à voter leur projet de résolution. Sur les quinze membres du Conseil de sécurité, il y a d'un côté les co-signataires du projet de résolution, Etats-Unis, Grande-Bretagne et Espagne, soutenus par la Bulgarie, pour une frappe militaire. Par ailleurs, la France, la Russie, la Chine, l'Allemagne et la Syrie sont tout aussi résolus à faire triompher un désarmement pacifique estimant que la guerre, à ce stade, est injustifiée. Reste enfin ce ventre «mou» du Conseil formé de pays qui ne se sont pas forgé une opinion ferme, mais penchent néanmoins vers la position défendant le fait que la guerre relève exclusivement des prérogatives du Conseil de sécurité. Ce qui veut dire que Washington et Londres ne peuvent compter que sur quatre voix, avec la leur, alors qu'il en faut neuf pour qu'un projet de résolution devienne une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Toujours aussi ferme dans sa position, Paris rejette l'ultimatum américain et propose même un sommet des chefs d'Etat, des pays membres du Conseil de sécurité, pour voter eux-mêmes le projet américano-britannique de deuxième résolution. Affirmant que la France «prendra toutes ses responsabilités», le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin soulignera qu'elle «ne laissera pas passer une résolution qui autoriserait le recours automatique à la force ».C'est dire que si, dans le cas, - pour le moment très peu probable -, où Washington parvient à réunir les neuf voix nécessaires, à ce moment il est tout aussi avéré que la France et la Russie, sans doute aussi la Chine, useront alors de leur droit de veto. Aussi, si jamais, et malgré tous les efforts de la communauté internationale pour la prévenir, se déclare la guerre, elle serait le fait des seuls Etats-Unis, qui se seraient ainsi substitués aux Nations unies en décidant eux-mêmes de la paix et de la sécurité du monde, prérogatives du ressort exclusif du Conseil de sécurité. Mais comme chacun sait, il est facile de commencer une guerre. Personne ne sait, et ne peut savoir, comment elle se terminera.