Les Nations unies sont plongées dans l'expectative, oublieuses de leur mission première. Au douzième jour de l'agression caractérisée américano-britannique contre l'Irak, le Conseil de sécurité de l'ONU observe encore le profil bas, quand les carnages perpétrés contre le peuple irakien exigeraient une réaction à hauteur de l'horreur dont la population irakienne est victime. Il était à l'évidence attendu de cette institution, gardienne de la paix dans le monde - comme l'exprime sa Charte fondatrice - qu'elle s'élève contre une guerre que le Conseil de sécurité, lui-même, avait estimée, dans son immense majorité, injustifiée. Or, foulant aux pieds la légalité et le droit internationaux, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont pris la décision, contre l'avis de l'opinion internationale, d'ouvrir les hostilités contre l'Irak. De ce seul point de vue, en se plaçant hors des lois communes, auxquelles sont assujettis les Etats mem-bres des Nations unies, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont placés en dehors de la légalité internationale, que leur position de membres permanents du Conseil de sécurité incitait à défendre et à protéger. Dès lors, il était du devoir du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, de rappeler à l'ordre ces membres ombrageux du Conseil de sécurité. Or, non seulement M.Annan ne l'a pas fait, mais a, en revanche, facilité les choses aux agresseurs américano-britanniques, en prenant sur lui, de rappeler les inspecteurs en désarmement de l'ONU et en gelant le programme «Pétrole contre nourriture», quarante-huit heures avant le début de l'offensive des coalisés contre l'Irak. Ainsi, en retirant les experts de l'ONU de Bagdad, représentant plusieurs pays, Kofi Annan a levé un obstacle qui pouvait encore dissuader Washington et Londres d'attaquer l'Irak. Depuis le 20 mars, début de l'agression combinée américano-britannique, aucune réunion d'urgence du Conseil de sécurité n'a été programmée. Plus, le Conseil de sécurité s'est réuni, ces derniers jours, pour adopter un nouveau programme «Pétrole contre nourriture» pour l'Irak, rejeté à juste titre par Bagdad, qui estime que le Conseil devait d'abord discuter de - voire condamner - l'agression contre l'Irak. Allant plus loin dans sa démission, envers ses devoirs à peuple en danger - ne serait-ce qu'en faisant l'effort d'arrêter l'invasion barbare de l'Irak - le Conseil de sécurité dans une récente réunion a mis à l'ordre du jour l'après-guerre, voire «l'après-Saddam Hussein», et la «reconstruction» de l'Irak, (dont les vautours commencent déjà à se partager les dépouilles) ce qui apparaît, en fait, comme une légitimation après coup, ou détournée, de l'agression dont est victime l'Irak. L'ONU, depuis longtemps entrée dans la pente suicidaire de sa devancière SDN, commet - en s'inclinant face aux injonctions de l'hyperpuissance américaine - les mêmes erreurs qui ont creusé la tombe de la Société des nations tombée sous la férule de l'Axe (nippo-allemand) dans les années 30. La mission première de l'ONU était de prévenir la guerre et de préserver la paix mondiale comme prescrit par la Charte fondatrice. Cependant, contrevenant à cette charte, l'ONU, douze jours après l'agression des coalisés, n'a toujours pas inscrit de débat urgent sur la question. Certes, le problème n'était sans doute pas de faire condamner deux membres permanents du Conseil de sécurité, mais, à tout le moins, de les mettre en garde contre les risques de génocide et de crimes contre l'humanité dont Washington et Londres pourraient se rendre coupables. Donc, loin de se comporter en tant que gardien de l'orthodoxie internationale, le Conseil de sécurité en ouvrant le débat sur «l'après- Saddam Hussein» assume une position incompatible tant avec les devoirs de l'ONU qu'avec la légalité et le droit internationaux. En ouvrant un tel débat, le Conseil de sécurité commet, au mieux, une provocation contre le peuple irakien qui meurt chaque jour sous les bombes américaines et britanniques, au pire donne un feu vert au droit de vie et de mort que se sont arrogé les Etats-Unis contre les régimes et les Etats qui n'entrent pas dans le profil de la reconfiguration qu'il ont programmée pour le monde. Dans l'un comme dans l'autre cas, les Nations unies se sont totalement compromises dans cette entreprise de domestication par l'hyperpuissance mondiale des peuples récalcitrants. Le silence douteux de l'ONU, au moment où des tonnes de bombes tuent un peuple préalablement désarmé (les Nations unies sont bien placées pour le savoir) peut être apprécié comme une abdication (en la personne de l'ONU) du droit international et de la légalité internationale devant la loi et la paix américaines, engageant en réalité le destin du monde dans l'inconnu.