Derrière la fausse guerre, celle visible des médias, du mensonge et de l'intox, il reste peu de lumière pour voir la vraie, la douloureuse. Dès les premières attaques contre l'Irak, le Pentagone a intégré des centaines de journalistes dans ses unités militaires. Les journalistes des télévisions américaines et de la presse écrite avaient pour mission de rendre compte de tranches de guerre, en direct, nuit et jour. Evidemment, il serait inutile de dire que le Pentagone était réjoui de voir des journalistes avancer au pas de charge, reculer, charger et «tirer» (stylos et photos) aux rythmes des tirs de roquette, d'obus et d'armes lourdes des soldats. Aux 600 correspondants «incorporés» avec les forces américaines, il était demandé, dans l'ensemble, de couvrir «toute la vérité», face aux «mensonges» de Saddam Hussein. «La vérité doit être l'enjeu de cette guerre et il est important d'avoir des reporters qui couvrent avec précision le conflit sur le terrain», déclare Bryan Whitman, numéro deux des services d'information du Pentagone. Cela c'est le côté jardin. Voyons maintenant le côté cour. Le journaliste Peter Arnett, célèbre pour sa couverture de la première guerre du Golfe en 1991, a été licencié par la chaîne NBC en raison de commentaires récents sur la télévision irakienne suggérant que les plans de guerre des Etats-Unis avaient échoués. Entre le côté jardin et le côté cour, sept jours à peine s'étaient écoulés. Durant ces sept jours, le public américain n'avait vu ni victime irakienne, ni morts, ni bombardements sur Bagdad, ni pleurs de femmes et d'enfants, ni fuite de soldats américains, ni armement US détruit. Rien de tout cela n'a été montré aux téléspectateurs, mais seulement des montages photos: redditions de soldats irakiens à Oum Qasr et Bassora, misère des autochtones et cargaisons de vivres distribuées aux citoyens de Oum Qasr. Avant-hier, un reporter américain, qui accompagnait l'aviation, a été immédiatement renvoyé chez lui. Motif officiel invoqué : il émettait des communications concernant le mouvement de la flotte aérienne qui se dirigeait vers Bagdad, et les communications - jugées par trop officielles - pouvaient être interceptées par l'ennemi. Le journaliste, Geraldo Rivera, une des vedettes de la chaîne Fox News, en fait, transmettait en direct à sa rédaction les bombardements militaires sur les populations civiles. Mais convenons-en que deux ou trois reporters consciencieux sur les 600 «intégrés» dans la machine de guerre américaine, ne peuvent dissiper l'écran de fumée. En face, Mohamed Saïd Es-Sahhaf, le ministre irakien de l'Information, ne fait pas mieux. Chaque jour, visage impassible, le sourire figé, il annonce, imperturbable, les revers des troupes US: 40 soldats tués, 25 chars détruits, 4 Apache touchés et 2 avions sans pilote abattus, et un final: «Bagdad sera le cimetière des Américains». Es-Sahhaf (un nom prédestiné pour la presse) arrive, jusque-là, à donner à la désinformation américaine son contraire, mais si, demain, Bagdad tombe entre les mains des armées US, il aura tout à fait tort d'avoir dit ce qu'il a dit, parce qu'il n'aura plus le droit à la parole, et Saddam devra expier toutes les fautes de la planète, pour l'unique raison d'avoir perdu la guerre, et donc, perdu son droit à la parole. En réalité, il n'y a pas de vérité en temps de guerre, de troubles et de tensions, il n'y a que des paroles. Au moment où vous êtes privé de parole, vous n'avez plus raison. Si Staline est qualifié, aujourd'hui, de «pire despote du XXe siècle», c'est uniquement parce qu'il est mort. Son grand ami anglais, Sir Winston Churchill, le qualifiait, de son vivant, de «grand esprit» et de «démocrate et ami du peuple». C'est tout dire... Pour revenir à la guerre qui se déroule sous nos yeux et dont nous n'arrivons pas à saisir les contours et les nuances, sachez une chose, c'est que souvent vous lisez et regardez non pas l'information ou l'image la plus significative et la plus résumante de son contexte, mais bien l'humeur du journaliste, la ligne politique de la chaîne ou du titre ou le cadre général dans lequel s'inscrivent le son, le texte et l'image. En définitive, regardez derrière l'information et vous découvrirez les ombres suspectes du manipulateur. Et puisque cette guerre touche le monde, de quelque manière que ce soit, c'est toute la presse et les médias réunis qui s'agitent dans un sens ou un autre. Jusqu'au troisième jour de la guerre contre l'Irak, l'Algérie - officielle - ne savait pas à quelle ligne de conduite se vouer, mais dès que le «message a été envoyé», toute la batterie informative - TV, radios et presse écrite officielle - a été mise en branle et les «marches autorisées» ont secoué les quatre coins du pays. Le même constat peut être établi pour les pays situés relativement loin de la zone immédiate des combats, avec cette précision de taille, c'est que plus l'événement est loin, plus l'information réelle est proche. Car les pays impliqués directement (USA, Irak, Grande-Bretagne) ou indirectement (pays limotrophes) dans la guerre, font de la manipulation psychologique, l'intox et les tiraillements de l'information une arme dont ils usent à volonté. Mais tous ne réussissent pas de la même façon. La machine médiatique américaine, huilée et opérationnelle depuis plus de trois mois, s'est «grippée». Les revers des soldats américains, la mort de 25 d'entre eux, etc. ont mis à rude épreuve la stratégie médiatique de la Maison-Blanche, qui doit, désormais, passer par le Pentagone pour s'exprimer. Car il n'est plus toléré de faire des déclarations qui avaient pour effet de saper le moral des troupes, de «retourner» l'opinion publique contre les «faucons», initiateurs de la guerre et grands manipulateurs d'opinion devant l'Eternel et de créer une polémique de l'ampleur de celle qui a fait rage lors de la guerre du Vietnam.