La question de l'autorité irakienne intérimaire qui devrait s'appuyer largement sur les forces en exil est de plus en plus controversée. Bien avant la chute annoncée du régime de Saddam Hussein et alors que l'opposition irakienne sous l'égide des Etats-Unis s'agite, des appréhensions sont apparues au sein même de l'administration de Bush. Les différends entre le Pentagone et le département d'Etat américain portent à la fois sur la composition de l'administration civile provisoire que Washington entend installer, et sur la mise en place ensuite d'une autorité irakienne intérimaire et sur le rôle de l'ONU. Pour préparer son offensive, l'administration américaine s'est toujours appuyée sur l'opposition irakienne aussi bien en exil qu'à l'intérieur. Mais la question qui s'impose d'elle-même a trait au rôle de l'opposition et de son apport dans la reconstruction de l'Irak d'autant plus qu'elle semble éclatée et n'arrive pas à accorder ses violons. En effet bien que rejetant le régime de Saddam Hussein, elle a auparavant exprimé son indignation sur certains objectifs des Américains. Kanan Makiya, qui représente le Congrès national irakien (CNI), un regroupement jusque-là très proche des positions américaines, a dénoncé ce qu'il a présenté comme une «stratégie destinée à garder en place la structure du pouvoir actuelle et à la mettre au service des Américains». L'opposition irakienne et surtout les organisations kurdes s'inquiètent également du rôle que Washington entend confier à la Turquie. Tandis que le Parti communiste irakien et d'autres formations politiques irakiennes et kurdes estiment, pour leur part, que l'occupation américaine sur l'Irak sera «un nouveau désastre pour le peuple irakien». Selon Kamil Mahdi, un des porte-parole de l'opposition irakienne de gauche, «les Etats-Unis ont toujours été avec nos oppresseurs, dans les années 90 lorsque l'armée irakienne a massacré la population qui s'était soulevée contre Saddam. L'invasion de l'Irak par les Etats-Unis ne sera pas notre libération, mais la perpétuation de la dictature». En outre, cette autorité intérimaire apparaît aux yeux de la majorité des Irakiens comme une force d'occupation manipulée par les Américains qui pourrait être «lâchée» par Washington au profit d'une nouvelle dictature à Bagdad, qui tenterait de régler le problème de Saddam en le remplaçant par une dictature «plus intelligente». D'ailleurs les Etats-Unis ont entraîné, en Hongrie et ailleurs, 10.000 Irakiens de la mouvance de Chalabi, chef du Congrès national irakien, pour les aider à administrer les structures essentielles de l'Etat - police, camps de prisonniers, premiers secours - après la chute de Saddam Hussein. Lors de la réunion de Londres l'opposition a installé une commission de préparation pour un gouvernement démocratique du nouvel Irak, composé de 65 membres. Ce groupe travaille d'arrache-pied depuis novembre sur le fonctionnement d'un gouvernement de transition, si les Etats-Unis renversaient le gouvernement de Saddam Hussein. Mais pour certains observateurs cette réunion n'était qu'un ballon-sonde lancé par les USA du fait de la coexistence à la même réunion d'Ahmed Chalabi et de Chérif Ali Al-Hussein (cousin germain de l'ancien roi Fayçal d'Irak), qui représentent deux projets très différents, une transition patronnée par les Etats-Unis et les pays voisins d'une part, et la restauration de la monarchie hachémite d'autre part. Cette seconde option a de nombreux partisans au sein du Pentagone et du lobby pro-israélien, qui considèrent qu'il faut profiter de la guerre contre l'Irak pour régler d'un seul coup le problème du Moyen-Orient. Ce scénario semble surréaliste, mais le fait qu'il existe et qu'il soit aujourd'hui mis en avant, y compris en Israël, par des gens de gauche qui désespèrent d'une paix possible avec les Palestiniens, montre bien le degré d'incertitude qui règne. Par ailleurs, il reste toujours cette inconnue, l'éventualité que la population irakienne redonne sa chance au parti Baas au pouvoir après cette période de transition, éventualité qui n'est pas à écarter. De ce fait toutes ces pertes humaines et matérielles l'auraient été pour rien. Et cela c'est un autre scénario à méditer.