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Les émeutiers se souviennent...
CELEBRATION DU20 AVRIL DEUX ANS APRES
Publié dans L'Expression le 20 - 04 - 2003

en ce printemps 2001, la douleur a été si forte qu'elle n'a pu rester muette.
Pour tout dire, on ne sait pas grand-chose d'eux. Jusque-là, on s'est contenté de craindre ou de plaindre les émeutiers. Tout le monde parle d'eux, des politiciens aux observateurs, des journalistes au simple citoyen. Qu'ont-ils de si particulier par rapport aux autres jeunes du pays qui, pourtant, vivent les mêmes problèmes qui découlent du chômage et de l'injustice sociale sous toutes ses formes?
Prétendre apporter des éléments de réponse à ce cas de figure, par un simple recoupement d'informations est une erreur. Car, hélas, le fourvoyement, les marchandages, les affaires et la ruse de guerre - c'est le mot - ont déformé le cri qui sortait des entrailles de la Kabylie. Dans ces conditions de flou total, n'est-il pas plus sage, plus judicieux de donner la parole à ces émeutiers, ceux-là mêmes qui se sont livrés poitrine nue aux balles réelles des kalachnikovs?
A Beni Douala, à Azazga et à Tizi Ouzou-Ville, on les a écoutés sans prétention, sans balise, raconter deux ans après, les premiers jours du printemps bariolé de Kabylie devenu noir par le mélange du sang.
Pour se rendre à Béni Douala, distante de 20 km du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, il n'y a pas plus simple. Il faut prendre un fourgon au niveau de la crête qui surplombe l'université Mouloud-Mammeri, en face de l'entrée du stade du 1er-Novembre. Quant à l'itinéraire, Mouloud Feraoun l'a si bien décrit qu'on ne peut prétendre faire mieux. Pour cela, on vous renvoie à La Terre et le Sang, un roman de cet auteur. A la seule différence peut-être, qu'aujourd'hui, le rouge de la brique se mêle un peu partout à cette palette de couleurs printanières. A croire que le Kabyle, quand il n'a pas de problème de justice, se consacre entièrement au souci du refuge. Partout la brique rouge s'aligne suivant la rigueur du maçon pour annoncer le début ou la fin d'une bâtisse. De Feraoun à Matoub, le premier assassiné par l'OAS le 15 mars 1962 et le second en juin 1998 «l'épisode Guermah» s'est ajouté aux souvenirs de cette mémoire blessée, mais en ce printemps 2001, la douleur a été si forte qu'elle n'a pu rester muette.
Dans un café au quartier de Massinissa, Moumouh, l'ami intime du défunt, raconte les premiers instants du printemps noir.
«J'étais au lycée avec Massinissa, je me rappelle, on lisait un poème de Si Mohand UM'hend dans un livre de Mammeri et qui commençait par: Je jure de Tizi Ouzou à Akfadou...C'était quelques heures avant son assassinat (...)». Il poursuit: «Quand on a appris la nouvelle de sa mort, vendredi matin (le 20 avril), le climat était indescriptible». Samedi, le 21 avril, les lycéens, les collégiens et les travailleurs se sont spontanément rassemblés devant la brigade pour y tenir un sit-in.
«La réaction des gendarmes était trop arrogante. On a eu un tel ressentiment qu'on a voulu les assassiner, tous à leur tour, sans être satisfaits». Révolté, il ajoute: «On s'est senti piétinés, blessés dans notre amour-propre, on ne valait pas plus que des mouches. Ils peuvent décider donc de notre vie et de notre mort.» «Et c'est de là que le sit-in s'est transformé en attaque avec des pierres, et l'arrivée des renforts a officialisé les émeutes.»
Rien dans le regard de Moumouh ne semble inspirer une quelconque abdication. «Je ferai toujours des émeutes pour venger Massinissa. Ce n'est pas parce que c'est un Kabyle, mais parce que c'est de la hogra», et il précise: «Ce n'est pas pour tamazight, mais c'est contre la hogra.» Il ajoute: «Les CNS ne sont pas venus maintenir l'ordre, ils nous ont bastonnés, insultés et ont saccagé les portraits de Matoub. Pourquoi touchent-ils à notre idole? Pourquoi nous, nous réservons une bonne place à Ben Badis?»
Assis à son côté, Yuva, 23 ans et chômeur depuis deux ans, intervient: «La première cause du combat était la hogra, mais c'est le prolongement de la lutte de nos aînés.» Lui aussi, s'interroge: «Pourquoi les jeunes des autres régions du pays ne nous soutiennent pas, pourtant la plate-forme d'El-Kseur est bénéfique pour tout le pays.»
Un groupe de jeunes, tous émeutiers, s'interposent, les questions-réponses fusent et le débat s'anime:«Ils disent qu'il (le pouvoir) refuse le dialogue. Mais qui a refusé le dialogue au premier jour de l'assassinat de Guermah qu'ils ont traité de voyou? Oui, on veut dialoguer, mais faut-il dialoguer pour juger les assassins?». Madjid, un autre chômeur, résume la situation: «La hogra rend méchant.»
500 m plus loin se trouve la brigade de gendarmerie. On aborde la côte de la rue principale et les policiers de cette brigade nous scrutent quand nous nous sommes arrêtés pour reprendre les deux graffiti de leur entrée. «Inoubliable pardon à vie pour les gendarmes assassins». «Nous exigeons la fermeture de cette brigade d'assassins». On remonte à la recherche des émeutiers et on nous indique un café situé cent mètres plus loin, en face de la poste.
Au milieu de salle, quatre jeunes occupent une table. Ils tirent à pleins poumons sur leurs cigarettes et vieillissent tranquillement. Les horizons bouchés pour l'éternité, ils sont chômeurs tous les quatre, enfin presque, car l'un d'eux est maçon. Ils refusent de donner leurs prénoms. «Nous sommes morts, nous n'avons plus de noms, donne-nous des numéros si tu veux, pour ne pas te perdre dans nos propos».
Le n°1 raconte: «On a souffert pendant une semaine avant que les émeutes se généralisent au niveau de toute la Kabylie. On se réveillait, chaque matin, et direction la brigade comme si on allait au travail», a enchaîné le n°2. «La nuit, on désignait le comité de vigilance, on coupait les routes et on a équipé d'alarmes les villages. Ils pouvaient à chaque instant de la nuit venir nous égorger pour dire ensuite que ce sont les terroristes», déclare le n°3.
Mais le terrorisme existe d'ailleurs. Ils ont assassiné Matoub? «On n'a jamais eu de problèmes avec les terroristes, Matoub, c'est l'Etat qui l'a tué», s'est insurgé le n°1. Et quel était votre rapport avec les gendarmes qui sont des jeunes comme vous? «Vous voyez tous ces jeunes autour de vous (il y en avait une vingtaine), ils sont tous chômeurs. Les gendarmes n'ont rien à gagner avec eux. Ils préfèrent les couffins gratuits des commerçants.»
Donc, maintenant, puisqu'ils sont partis, le problème est réglé? avons-nous encore interrogé. Le n°2 réplique: «Oui, mais notre problème est maintenant avec la justice». Aucune référence à tamazight, chez ces jeunes qui ont dépassé le «Smig» de la culture politique qui leur permettrait de se taire.
Quand on a évoqué l'autonomie de la Kabylie, ils n'ont pas bronché ou tout simplement dit que c'est hors de question. Et nous quittons cette localité qui a enfanté Imache Amar, Mouloud Feraoun et Matoub, vers un autre point chaud. L'état de la brigade de gendarmerie à Azazga est frappant à l'entrée de la ville. Il atteste d'un drame incompressible. Plus de portes et plus de fenêtres, les murs ont été défoncés, seuls des piliers soutiennent une dalle quasi effondrée. On aurait juré qu'elle avait été bombardée par un B52 des forces US.
«Notre satisfaction est de la voir, comme ça, devenir un urinoir public», appuie K., un émeutier. Aziz relate l'assassinat de son frère, Sofiane, âgé de 20 ans. «Le 27 avril 2001, les manifestants ont assailli la brigade avec des pierres. La foule était grande, au moment de se replier, les gendarmes ont tiré et touché Sofiane qui était relativement loin.» Il refoule ses larmes et poursuit avec une note de regret: «J'ai le sentiment qu'il est mort pour rien.» Le seul objectif de Aziz, aujourd'hui, est de partir loin de ce pays qui a assassiné son frère.
Malek a, lui aussi, perdu un cousin, le même jour, Kamel âgé de 23 ans. «Kamel était à 40 m de la brigade, d'autres étaient plus proches, ils allaient défoncer la porte. Quand ils ont tiré, ils ont visé ceux du milieu, pas ceux qui étaient très proches. Ils ont bien calculé, on dirait que c'était étudié.» Il poursuit: «Ce jour-là, ils tiraient à partir de leur terrasse avec des pierres, des bombes lacrymogènes, des balles réelles, on aurait dit une guerre. On entendait des youyous, des cris de femmes, d'enfants, des ambulances, c'était la confusion totale...».
Mahmoud revient difficilement sur le drame qu'il a vécu le 26 avril 2001 à 16h. Il a été le premier blessé par balle réelle, la scène est gravée dans sa mémoire.
«Je suis né sain et par la faute d'un gendarme, je suis handicapé à vie», raconte-t-il la gorge nouée avant d'ajouter: «J'ai participé à toutes les marches pacifiques, mais jamais je n'ai attaqué la brigade ou autre chose; ce jour-là je me rendais chez ma belle-famille, à 300 m de la brigade. Un gendarme me transperce la cuisse droite d'une balle, et je tombe raide sous les yeux de ma femme qui était au balcon.»
Contrairement aux autres, Mahmoud ne veut pas quitter le pays. «Après tout je suis chez moi. J'ai vécu en Italie et je suis revenu de mon propre gré. Il faut savoir que nous sommes indésirables chez eux. Ici, nous avons des oliviers, Dieu merci, nous n'allons pas mourir de faim». Au sujet de l'autonomie, il déclare: «Ferhat ferait mieux de rester chanteur.»
Ce qui n'est pas le cas de Rachid qui avoue: «Je suis pour l'autonomie même si je constate objectivement que la majorité de la population de Kabylie n'épouse pas cette idée.» Rachid a été blessé par une fronde des gendarmes. «J'ai toujours été dans la foule, et le jour du massacre (le 27 avril, Ndlr) j'ai entendu un policier crier: retirez-vous ils vont tirer. 5 à 10 minutes plus tard, j'ai vu des corps par terre gisant dans des mares de sang.» Il fond en larmes, grille une cigarette et se ressaisit avant de rendre un vibrant hommage aux jeunes de Cheurfa, un village situé à 3 km de la ville d'Azazga.
Nous quittons Azazga pour regagner, 30 km plus loin, les Genêts, un quartier au centre-ville de Tizi Ouzou, situé en face de l'hôpital universitaire. Le quartier qui a vu grandir et emprisonner Belaïd Abrika. On se désaltère au café des émeutiers et on nous indique Si El-Houass, le pseudonyme d'un émeutier.
Dans le récit de Si El-Houass, se dégagent une conviction, une sincérité, même beaucoup de sincérité. Il n'est pas chômeur comme la plupart de ceux qu'on a rencontrés dans notre périple. Mais il refuse de plier devant l'injustice sociale: «Je ne supporte pas de voir un jeune démuni de tout au point de ne pouvoir s'offrir une cigarette, alors qu'il a le droit à un minimum, cette forme d'injustice est mon combat, en Kabylie ou ailleurs.»
Il ajoute avec la même conviction: «Je suis Berbère, mais je ne fais pas d'émeutes pour tamazight». Si El Houass dit ne pas faire de politique, mais il a le sens de l'anticipation: «Je déteste le RCD, je suis allergique au FFS, mais je suis sûr que quand il y aura la satisfaction de la plate-forme d'El Kseur, les opportunistes vont accourir. Ce jour-là, je préfère quitter le pays.»
Il s'est engagé corps et âme dans les émeutes le jour où il a vu les premiers morts entassés à l'hôpital. Plusieurs anecdotes ont émaillé le parcours de cet émeutier. La première: «C'était à M'douha, en pleine émeute, un trabendiste a reconnu un policier en civil parmi la foule et de plus, qui lançait les pierres en direction des CNS. On a vérifié ses papiers, c'était bien écrit ‘‘Chorta'', on l'a déshabillé, bastonné à la manière des gendarmes, et renvoyé chez ses collègues.»
La deuxième: «On était en face du camion à jet d'eau. Sous la pluie de pierres et de cocktails Molotov, on l'a acculé à faire marche arrière. Derrière lui se trouvaient des CNS. Il en écrase un. On a beau crier, en vain. Un des collègues du CNS mort retire son casque, jette son bouclier et fonce sur nous. Arrivé à notre niveau, il s'est agenouillé et criait à se rompre les cordes: tuez-moi! On ne l'a pas touché. C'est pour vous dire qu'on sait être pacifiste.»
Il ressort de notre périple que le calme qui règne en Kabylie est précaire, que le terme d'essoufflement du mouvement n'est pas approprié. Il y a un mécontentement aussi vivace qu'au premier jour.
A l'origine de ce mécontentement, un malaise social profond qui ne peut se traiter par des mesures «dites d'apaisement» superficielles.
Les conclusions sont peut-être hâtives. Si après 123 morts et des milliers de blessés, l'art de retenir les leçons n'a pas été donné à nos responsables, comptent-ils l'appliquer aujourd'hui?


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