L´Egypte reste leader dans tout ce qui a trait à la sauvegarde ou au contraire à la modernisation de la langue d´Al Moutanabi. Les puristes et les réformateurs n´hésitent pas, de loin en loin, à croiser le fer pour savoir s´il faut garder la langue dans sa pureté originelle remontant à l´époque de la révélation, ou si, au contraire, il ne faut pas la mettre au diapason des défis de la vie contemporaine. C´est que le débat n´est pas seulement académique : il concerne le devenir linguistique de plus de 250 millions de locuteurs dans le monde. Et le débat vient d´être une nouvelle fois relancé par la publication d´un livre intitulé «Vive la langue arabe, à bas Sibawayh», écrit par Chérif Choubachi, journaliste mais aussi sous-secrétaire d´Etat à la culture et édité par l´Autorité générale du livre égyptien, un organisme officiel. Et c´est justement parce que c´est un organisme officiel qu´il y a le feu en la demeure, amenant le député islamiste Hamdi Hassan à adresser au ministre de la Culture, Farouk Hosni, une demande pour saisir le livre, affirmant que l´auteur attaque la langue arabe. D´abord qui est Sibawayh? C´est lui qui a jeté, au huitième siècle de notre ère, les bases de la grammaire arabe. Ensuite remarquons que l´Egypte est le pays des paradoxes. Leurs islamistes sont à l´affût de la moindre velléité de réforme, alors que leurs intellectuels n´hésitent pas à monter au créneau pour, justement, promouvoir une nouvelle vision de la société musulmane, plus adaptée à l´évolution des choses. On rappellera à ce propos les pressions de la vénérable université d´Al Azhar sur la sociologue Nawal Saâdaoui, que les cheikhs d´Al Azhar ont voulu séparer de son mari, ou bien l´universitaire Nasser Saïd, qui a été poussé à l´exil et au...divorce. Désunir les couples d´intellectuels semble devenir la solution miracle, la clef magique pour faire revenir les réformateurs, considérés comme des hérétiques, à la raison. Le député Hamdi Hassan estime que le fait de réclamer la simplification de la langue arabe et de considérer qu´elle est aujourd´hui éloignée de la modernité, c´est faire le jeu des occupants et des envahisseurs. Et de rappeler le leitmotiv des islamistes qui s´appuie sur le fait que l´arabe est la langue du Coran pour rejeter toute idée d´innovation et d´enrichissement. Argument auquel Cherif Choubachi, également président du Festival international du cinéma du Caire, répond en disant : «Le Coran a employé la langue arabe pour faire parvenir son message à l´humanité ... malgré le fait que 81 % des musulmans ne connaissent pas l´arabe.» On peut citer pour illustrer cet argument que des centaines de musulmans ne sont pas arabes : les Perses, les Indiens, les Afghans, les Turcs, les Africains subsahariens, les Indonésiens, les Kirghizes...Et la liste n´est pas close. Un hadith du Prophète ne dit-il pas que seule la foi permet de distinguer entre un arabe et un non-arabe? Bien que la langue arabe soit la seule dont les règles de grammaire n´ont pas été modifiées depuis 1500 ans, il est à remarquer que le langage employé par les journaux d´aujourd´hui et les auteurs modernes est bien différent de celui d´Al Moutanabi, poète de la dynastie abbasside. Cherif Choubachi souligne par exemple que la langue arabe utilise encore, outre le singulier et le pluriel, ce qu´on appelle le duel, avec ses termes spécifiques quand il s´agit de deux personnes. Il va même plus loin en dénonçant le caractère discriminatoire du féminin pluriel. Il conclut en disant : «Je trouve que les Arabes vivent dans un état de schizophrénie du langage, car ils utilisent une langue dans leur vie courante et écrivent et étudient dans une autre». Ce débat, commencé en Egypte ne peut laisser indifférents les amoureux de la poésie d´Antara et d´Abou Nouas, voire d´Illya Abou Madhi.