Toute la problématique de la privatisation et de la nouvelle mouture du projet de loi sur les hydrocarbures se résume à cette petite phrase de Sidi-Saïd à ses amis syndicalistes: «La privatisation se fera avec vous, sans vous ou contre vous.» Ainsi, la vie politique, c´est aussi cela, des petites phrases qui en disent long et qui sont un moment de dramatisation, voire de théâtralisation. Le «contre vous» exprime bien le conflit en cours. Tout comme en d´autres temps, un ministre de Mouloud Hamrouche, pour bien montrer l´importance des réformes engagées à l´époque, avait dit : «ça passe ou ça casse!» Il n´y avait pas d´autres choix, mais surtout, il y avait l´idée de deux forces en présence, celle des réformateurs hamrouchiens contre celle des rentiers du système qui ne voulaient pas, laissait-on entendre, qu´on sacrifie leurs privilèges sur l´autel de la nouvelle politique économique. Ce même ministre hamrouchien, ou l´un de ses collègues du gouvernement, avait également déclaré : «Il y aura du sang et des larmes.» Avec du recul, on voit bien que cette prophétie s´est réalisée. Autre petite phrase, et autre dramatisation, L´ex-FIS, dont le slogan était «Pas de charte, pas de Constitution, il y a Allah, il y a le prophète». Traduisez : rejet de toutes les lois de la République et application de la charia. Ali Benhadj n´avait-il pas dit «Je foule aux pieds vos lois»? L´autre son cloche était cette réplique de Saïd Sadi à Abassi Madani, en direct à la télé, à l´émission Face à la presse animée par Mourad Chebine: «Nous vous barrerons la route, nous ne vous laisserons pas passer.» C´était un moment de tension s´il en est. Ces moments de tension extrême, telle qu´exprimée dans une petite phrase, concerne soit la vie politique soit la vie économique. Mais les deux liées. Ainsi quand Sidi-Saïd parle de privatisation et d´hydrocarbures, le dossier est économique, mais sa substance est politique. Tout comme lorsque l´ancien Premier ministre Sid-Ahmed Ghozali avait déclaré qu´il était prêt à vendre 25 % de Hassi Messaoud. Rien qu´avec un petit chiffre, il venait de casser un tabou vieux de trois décennies. C´était presque un sacrilège. Kofr. C´était plus fort que le défi lancé par Sadi à Abassi. Quand le politique se double de l´économique, le mélange est encore plus explosif. La petite phrase du président Bouteflika qui fera date et qui déjà fait couler beaucoup d´encre, c´est bien celle-ci : «Je ne suis pas un trois quarts de président». L´homme était au tout début de son premier mandat, des lignes rouges lui étaient tracées par la toute-puissante grande muette, mais il estimait qu´ayant été élu par le peuple, il était le chef suprême des armées et la Constitution faisait de lui le détenteur de la décision politique, et toute sa tâche consistait à débusquer les «décideurs» de l´ombre. N´avait-il pas déclaré qu´il avait fait donner la dépêche de AP rien que pour vérifier quelque chose et que c´était fait. Quatre ans plus tard, le chef d´état-major, le général Lamari, lui répondra en disant que l´institution militaire respecterait le président sorti des urnes, même si c´est Abdallah Djaballah. Le «même si» exprime le moment de tension dont nous parlions puisqu´il précise, tout de suite après, que le président devra respecter la Constitution et le caractère républicain de l´Etat. Tout comme lorsque Aït Ahmed, pendant longtemps, s´est cantonné dans un «ni... ni» qui rejetait en bloc, disait-il, l´Etat policier et l´Etat intégriste. Ce à quoi Ahmed Attaf, le chef de la diplomatie de Liamine Zeroual, répondra en rejetant en bloc le contrat de Sant´Egidio, dans la globalité et dans le détail. Noureddine Boukrouh, quand il était dans l´opposition, a eu quelques petites phrases qui ont fait mouche, dont celle du socialisme de la mamelle. Il a également dit que le pays avait eu trois décennies, celle des hittistes, puis celle des trabendistes et enfin celle des terroristes. Avec ces petites phrases, on peut réécrire l´histoire de l´Algérie.