Le Caire s´est douloureusement réveillé ce samedi, secoué par le double attentat au coeur de la capitale égyptienne, dans le quartier populaire de Sayyeda Aïcha, laissant hagarde la population et perplexes les autorités politiques et sécuritaires égyptiennes. De fait, ce nouvel attentat qui vient après celui commis le 7 avril dernier contre un bazar du vieux quartier de Khan Al Khalili, (qui a servi de décor de fond à de nombreux romans du prix Nobel de littérature égyptien, Naguib Mahfouz), pose nombre de questionnements sur la situation réelle en Egypte avec, en toile de fond, l´élection présidentielle prévue à l´automne prochain, qui s´avère, de ce fait, cruciale pour le devenir du pouvoir actuel au Caire. L´état d´urgence maintenu, contre toute raison, depuis octobre 1981, (date de l´assassinat du président Anouar Al Sadate), l´usure du pouvoir, -ce qui n´empêche pas le président sortant, Hosni Moubarak, de postuler pour un sixième mandat-, l´émergence d´une nouvelle génération d´Egyptiens aspirant à participer pleinement aux affaires politiques du pays, afin de briser le monopole du pouvoir exercé par le clan Moubarak, l´apparition d´islamistes plus déterminés et moins impliqués dans les arcanes du pouvoir égyptien, sont autant de paramètres qui peuvent donner un sens à la recrudescence de la violence de ces derniers mois, sans expliquer, pour autant, des attentats dont le moins qui puisse en être dit est qu´ils viennent fort à propos, confortant les réserves du pouvoir quant à une éventuelle levée de l´état d´urgence, de même qu´ils ont été commis au hasard, sans objectifs précis, juste pour mettre la pression, comme en témoignerait le nombre restreint des victimes. D´aucuns font une autre analyse estimant que les Moukhabarates (renseignements) égyptiennes, peuvent être derrière ce nouvel activisme, ne serait-ce que dans l´optique de justifier le maintien d´un état d´urgence qui pèse de plus en plus sur la nation égyptienne, élargissant le vide politique que l´activisme du parti au pouvoir, (le Parti national démocratique, PND qui détient la majorité absolue au Parlement) n´arrive ni à masquer ni à combler. En fait, en guise de dialogue avec une opposition affaiblie et laminée, le régime égyptien, comme tous les pouvoirs autoritaires, a choisi la répression tous azimuts, frappant tout ce qui bouge, réduisant les espaces de liberté et interdisant le débat contradictoire. Ce faisant, le régime du Raïs égyptien ne semble pas s´être aperçu que la mise au pas de l´opposition, la mainmise sans concession sur le fait politique, l´absence ne serait-ce que d´un semblant de soupape de sûreté, ont contribué tout au long de ces années à boucher toute perspective d´alternance politique pacifique et non violente. Le fait même que le président Moubarak soit candidat à sa propre succession est indicative des limites que voulait imposer le Raïs à l´ouverture induite par l´amendement de la Constitution, auquel a été contraint le régime, prévoyant des candidatures multiples au prochain scrutin présidentiel. Mais cette ouverture demeurera sans véritable effet sur la praxis politique et la libération du champ politique égyptien du fait que ces rectificatifs de la loi fondamentale viennent un peu tard et à contretemps des revendications de la classe politique et de la société civile égyptiennes. L´analyste égyptien, Nabil Abdel Latif, du Centre Al-Ahram pour les études stratégiques, résume assez la situation lorsqu´il explique que «le vide politique créé par le pouvoir, qui a combattu toute opposition sous prétexte de combattre le terrorisme, l´échec des réformes économiques et le fait que le régime n´a rempli aucune de ses promesses en 24 ans de pouvoir (sous le président Hosni Moubarak) ont conduit à une crise socio-économique grave», et le même d´ajouter, à propos des récentes attaques et attentats commis en Egypte, que, selon lui: «Ces attaques marquent l´émergence d´une nouvelle génération d´adeptes du radicalisme islamiste et de la violence contre les étrangers». De fait, pressée par les Américains de réformer le régime en place et d´ouvrir le jeu politique, afin de permettre l´émergence d´une classe politique nouvelle apte à instaurer la démocratie au pays des Pharaons, l´Egypte a rejeté avec hauteur le projet du Grand Moyen-Orient (le GMO américain), sans pour autant présenter un projet alternatif donnant à la société égyptienne de participer de manière visible et évidente au pouvoir, lequel reste la chasse gardée du petit groupe de politiciens ayant accédé aux affaires du pays dans le sillage de la promotion du général Hosni Moubarak à la tête de l´Etat, au lendemain de l´assassinant du président Al Sadate. Le clan Moubarak en verrouillant toutes les issues, a, a contrario, ouvert la voie à tous les impondérables, ne laissant aux opposants, notamment islamiques, comme champ d´expression que la violence avec tous les drames que cela implique. Les deux attentats de samedi, revendiqués par deux groupes différents, (le Groupe des moudjahidine d´Egypte, et les Brigades du martyr Abdallah Azzam), ce qui entretiendra surtout la confusion sur la véracité de l´existence de ces groupes, sonnent comme le chant du signe pour un pouvoir autoritaire qui n´a pas su évaluer à sa juste dimension la situation prévalant dans un monde qui évolue à une vitesse accélérée, mais aussi dans les pays voisins de l´Egypte, appelant à de véritables changements. Le régime égyptien, -comme nombre de ses homologues dans le monde arabe-, n´a pas compris que l´on ne peut tenir indéfiniment le peuple en laisse, sous prétexte de son immaturité politique et que, tôt ou tard, viendra le moment où il devra rendre compte à ce peuple. Ce moment semble ainsi venu en Egypte.