Depuis son ouverture, la Croisette a accueilli son lot de célébrités et de films. Mais le festival va piano, vivant encore un peu au ralenti. Pas de bousculades, pas de salles pleines comme si les grèves en France, la peur des attentats et le Sras s'étaient insidieusement infiltrés dans les rouages de la plus grande manifestation cinématographique du monde. Le film d'ouverture, d'habitude prestigieux, n'a pas fait l'unanimité, ni de la presse (zéro pointé) ni du public (qui le boude). Ce remake de Fanfan la Tulipe avec son agitation constante (pas une minute sans action) et sa musique envahissante ne fait pas oublier le chef-d'oeuvre de Christain Jacques, et Vincent Perez n'arrive pas à la cheville de Gérard Philippe. Et comble de malchance les festivaliers qui attendaient Tom Cruise, compagnon actuel de Pénélope Cruz, vedette feminine du film, en ont été pour leurs frais. Matrix Reloaded des Wachowski Brothers, à grands renforts de technologies nouvelles, lui a volé la vedette le même jour. Ce film d'anticipation en met plein la vue et les oreilles avec ravissement pour qui est amateur de futur. Raoul Ruiz, cinéaste chilien réfugié en France depuis le coup d'Etat sanglant de Pinochet, a gagné les rivages helvétiques pour Ce jour-là, premier film en compétition. Avec la dextérité qu'on lui connaît, l'auteur de Dialogues d'exilés tire les ficelles de cette comédie policière qui voit s'affronter la belle et glacée Elsa Zylberstein (troisième collaboration avec Ruiz) et l'angoissant Bernard Giraudeau, qui a trouvé un réel plaisir à travailler pour la première fois avec lui. Ce rôle de Poinpoirot (une facétie du réalisateur) peut lui valoir un prix d'interprétation. Sur un registre plus sage, le Français André Téchiné met face à face deux personnages point faits pour se rencontrer. Une jeune et belle institutrice déjà veuve et mère de deux enfants (Emmanuelle Béart) et un jeune évadé d'un centre pénitenciaire (le magnifique Gaspar Ullel découvert par Michel Blanc dans Embrasse-moi). L'exode sur les routes de France en juin, alors que les Allemands sont sur le point d'envahir Paris, les met face à face sur une route bombardée par les avions nazis. Fuite vers la campagne, huis clos dans une demeure abandonnée et exacerbation des sentiments qui les méneront à une étreinte sauvage. Mais la guerre sans pitié mettra fin à cette rencontre. Les Egarés confirment le goût de Techiné pour les passions contraires et contrariées. Samira Makhmalbaf dans La Pomme (découvert à Cannes en 1999) reste à ce jour le meilleur film, quitte son Iran natal pour filmer à Kaboul la dure condition des afghanes. Dommage que son didactisme (les fillettes ont l'air de réciter des discours politiques) et son esthétisme forcé (plans répétés des burquas qui volent au vent) gâchent le propos du film qui voudrait que la oit l'égale de l'homme et qu'elle ait droit à la liberté, l'instruction et l'indépendance en luttant contre le traditionalisme et l'ignorance. A Cinq heures de l'après-midi ne convainc pas tout à fait. L'heureuse surprise du festival vient du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan dont Uzak révolutionne le cinéma turc. Sur les traces de Tarkowki et Bergman, dont il est un des grands admirateurs, il trace de façon épurée le portait d'un photographe qui sent que sa vie réelle n'est pas tout à fait conforme à ses idéaux. Ses réflexions existentielles seront troublées par un cousin qui débarque chez lui, venu à la capitale pour trouver du travail. Il filme magnifiquement Istambul enneigé (il signe aussi l'image) dans laquelle déambulent les deux personnages et sa mise en scène est extrêmement précise et drôle. La Croisette frémit d'impatience en attendant Dogville de Lars von Triers dans laquelle l'ex-madame Tom Cruise, Nicole Kidman tient la vedette. Quand ses longues jambes effleureront le tapis rouge des grands escaliers, le public qui se presse chaque jour près du palais pour approcher les stars va retenir son souffle.