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Un Japonais et un Jaoui et rien d'autre...
CANNES 2004
Publié dans L'Expression le 17 - 05 - 2004

No body knows, un film japonais de deux heures vingt minutes, qui filent comme une barque descendant un rapide.
Une histoire très prenante sur la prise en charge par un grand garçon de ses deux soeurs et de son plus jeune frère, à cause des absences répétées de la mère et qui finira, un jour, par ne plus revenir, malgré la promesse d'être là à Noël. Un conte tragique, merveilleusement interprété par quatre adolescents, dont le plus âgé ne dépasse pas les treize années ! Une image démystifiante du Japon, une société qui fait voler, chaque jour ses repères au point d'élargir grandement le fossé entre les couches sociales, de plus en plus indifférentes les unes aux autres. Un moment de cinéma indéniable.
Cela aurait pu être le cas de Moolaadè du Sénégalais Ousmane Sembène, revenu après plus de deux décennies à Cannes après une longue éclipse qui a duré plus de vingt-deux ans ! Sembène est arrivé sur la Croisette avec un sujet fort, le combat des femmes contre l'excision que les hommes ont décrétée conforme à l'Islam ! Bien sûr que, par fulgurance, on retrouve le regard incisif de l'auteur de Xalam, mais reste qu'en décidant de faire en sorte que son histoire se déroule dans un contexte rural, il n'a pas pu négocier les deux écueils qui se sont dressés, fatalement, sur son passage !
D'abord, le film ne fait pas l'économie d'une vision légèrement folklorique de l'Afrique noire (dont sont friands les Festivals et le pompon cette année a été décroché par la Semaine de la critique, nous y reviendrons) et puis le film ne peut ainsi éviter d'emprunter des raccourcis trop rapides qui laisseraient croire que le problème de l'excision est le fait des classes pauvres, donc rurales, oubliant de dire que c'est bien en ville que les grands marabouts qui sévissent dans les mosquées dictent leur loi et leur vision d'un Islam mâtiné de rites on ne peut plus païens !
Reste qu'à bien des moments, Sembène Ousmane déclenche des uppercuts par le biais de ses personnages féminins, qui font mal aux dents. Sûr que l'octogénaire sénégalais n'a rien perdu de son punch. Ce n'est pas ce qui pourrait être dit du travail de Kiarostami. Comme disait un critique du journal français Libération, on serait tenté «d'écrire une lettre au producteur pour l'avertir de la présence d'un imposteur sur la Croisette». A la vision de Five on comprend encore plus l'aversion de Godard pour le cinéma de Kiarostami. Excessive sans doute, mais le plus souvent justifiée. Même si l'Iranien a commis quelques perles précieuses, dans un lointain passé, avant qu'il ne redevienne, (lui et certains de ses compatriotes) une sorte d'obligation dont la programmation est inscrite sur le cahier des charges des festivals.
Il est interdit de toucher aux totems, va-t-on nous rétorquer!
Tant pis, continuons le travail de lèse-majesté pour fustiger le travail au contenu politique on ne peut plus suspect du Serbe Emir Kusturiça auteur des magnifiques Te souviens-tu de Dolly Bell ?, Papa est en voyage d'affaires et même du Temps des Gitans, mais qui avait annoncé un virage à droite, déjà, avec Underground, qui se voulait chagallien. Mais a-t-on le droit de ne pas accrocher trop à Chagall. Bref, toujours est-il que le malaise est diffus ici à Cannes, au point qu'un grand magazine américain de cinéma ne cesse de reporter une descente en règle de La vie est un miracle. Question de pression des majors... Sans doute !
A propos des Etats-Unis, une lueur a éclairé la nuit dernière la Quinzaine des réalisateurs, elle est à inscrire à l'actif de la sulfureuse Asia Argento qui a secoué une salle comble avec Blue Light, l'histoire d'une mère qui récupère son fils âgé de cinq ans auprès de sa famille adoptive, après l'avoir mis au monde sous X. Cela se passe dans l'Amérique de Bush, celle qui est constituée des dix millions de marginaux. Et c'est explosif ! Pas seulement à cause des Sex-Pistols, que chante le môme à tue-tête, à force de croiser les copains de sa mère, à la coupe iroquoise, mais aussi parce qu'il y est clairement dit que l'inceste et le fanatisme religieux, lorsqu'ils cohabitent, font des ravages qui se transmettent de manière générationnelle. Les ravages, bien sûr. Et c'est un bout de jeune femme, qui en est à son deuxième film, qui va asséner cette vérité d'abord à l'Amérique, avant de la révéler au reste du monde. Prodigieux.
Hier matin, les bookmakers s'étaient donné en masse aussi, rendez-vous pour savoir s'ils pouvaient parier sur Comme une image d'Agnès Jaoui, qui avait fait un tabac inattendu, il y a quelques années, avec Le Goût des autres. Plus de quatre millions d'entrées en France. Agnès Jaoui et son mari Jean-Pierre Bacri, l'Algérois, avaient déjà, en matière de script, un pedigree de bonne facture qui avait ravi Alain Resnais, entre autres. Avec Look at me (titre anglais du film, plus judicieux d'ailleurs), Jaoui... n'encense pas le milieu intellectuel qu'elle connaît bien. Au contraire, elle l'observe avec une acuité d'orpailleur. Elle développe beaucoup d'empathie autour de son personnage principal, incarné par Marylou Berry, ici la fille d'un écrivain divorcé. Cette fille-là a besoin d'un regard et se méfie comme de la peste de la gentillesse prodiguée à son égard, de peur d'y trouver de la pitié. Son père, un écrivain célèbre, vit avec son portable et sa gloire et passe à côté du malaise «pondéral» que porte sa fille. Sans le juger, donc l'accabler, la réalisatrice ouvre bien grandes les écoutilles pour montrer que cet homme, malgré sa grande gueule, est prisonnier dans sa propre coquille. Un joli moment de communication non violente que propose Agnès Jaoui. Et c'est bienvenu !


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