Les vrombissements incessants du voisin font bondir Salim qui sort armé d´un couteau. Voilà un brave distributeur de journaux qui n´a, la nuit tombée, qu´une envie: dormir. Et dormir tôt SVP car le réveil, c´est deux heures du matin direction l´imprimerie. Et de Bachdjarrah - les machines - il ne met que dix minutes en ces heures matinales, bien avant l´aube. Et ce Salim veut si bien se reposer qu´il enfonce dans l´oreiller sa grosse tête qui surplombe sa haute carrure, ferme les yeux juste après avoir récité la Chahada et tombe élégamment dans les bras de Morphée. Or, cela n´arrive plus depuis un certain temps. Il a un voisin, un drôle de coco qui l´empêche de se reposer. Cela va devenir franchement insupportable. Ce drôle de coco fait quoi, SVP? De la provocation, pardi! Tenez, par exemple: il lui arrive souvent de garer la voiture en face de la fenêtre de la chambre de Salim, met le moteur en marche et débute un carrousel de ronflements qui empêchent un éléphant de fermer l´oeil. Evidemment, cela énerve. Et Salim a beau se retourner dans son lit, il ne trouve pas le sommeil. Il sort la tête de la fenêtre et tente de calmer le faiseur de bruit assourdissant. Rien à faire. Cela continue jusqu´au jour où Salim sort armé d´un couteau pour trancher ce litige qu´il n´a jamais cherché, voulu, désiré. C´est la rixe. Les coups et blessures volontaires y sont. Ils sont même réciproques. Dans la foulée, il y a un arrêt de travail de quelques jours fourni par le voisin devenu du coup, victime. Salim est en taule. Douze jours après, il est à la barre face à Samira Ayadi, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey, cour d´Alger. Flanqué de trois avocats, Maître Habib Benhadj, Maître Mohamed Kimouche et le jeune Maître Abdelhafidh Tamremt, fougueux ce dimanche pluvieux...Mohammed Kolla occupe le siège du ministère public. Il va suivre les débats tronqués par l´absence de la victime et surtout des témoins dont la présence aurait pu édifier une Ayadi très vigilante, sereine et surtout attentive à tout ce qui se dit. Maître Habib Benhadj s´en était violemment pris aux éléments de la Police judiciaire qui s´étaient aventurés à transcrire le nom du chikh Ali Benhadj qui serait le parent proche de l´inculpé. «De quel droit on mélange le droit commun, une triste histoire de voisinage avec le nom d´un homme public qui ne réside même pas dans les parages de l´inculpé ou de la victime? Madame la présidente, à l´heure de l´avènement de la Réconciliation nationale, de l´apaisement, de la paix enfin rétablie, on prend une famille et on la «jette» sur un procès-verbal de coups et blessures», s´était égosillé l´avocat brun qui a réagi en universitaire appliqué plutôt qu´en avocat révolté. Samira Ayadi, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey (cour d´Alger) avait suivi toute la plaidoirie qui a tourné autour de la personnalité de l´inculpé, un distributeur de journaux qui se lève tôt et donc doit se coucher tôt. Reprenant les faits, Maître Benhadj s´était évertué à rappeler le comportement provocateur de la victime qui ne cessait de faire en sorte à ce que le vrombissement du moteur chasse des lieux le marchand de sable au bon moment. L´inculpé a trois enfants. Il travaille dur et donc veut seulement se reposer à l´heure où la victime gare sa voiture sous la fenêtre du rez-de-chaussée du domicile de l´inculpé et joue au trouble-sommeil. «Libérez ce père de famille qui avait été malmené et a donc réagi comme tout père de famille entré en pleine ire et mérite donc de larges circonstances atténuantes. N´importe quel autre citoyen mis dans le même contexte aurait eu les mêmes actes regrettables», avait articulé l´avocat qui s´était mis de côté, le visage violet. Lui succédant, Maître Mohammed Kimouche ira dans le même sens que son cadet Maître Benhadj sauf qu´en y ajoutant une demande d´indulgence du tribunal, une indulgence née d´une reconnaissance des faits surtout que le détenu avait répété son ras-le-bol. «Je regrette que je me sois précipité hors de chez moi, un couteau à la main. J´étais aveuglé par l´arrogance de cet énergumène qui a tout entrepris pour que je sois ici avec le statut d´inculpé détenu. Il me l´avait lancé en criant. Je n´ai pas fait attention à ses propos. Et ce sera Maître Temret qui allait terminer mélancoliquement sa brève plaidoirie en marmonnant lui aussi l´indulgence du tribunal ainsi que la clémence d´Allah pour tous les voisins provoqués et provocateurs. «Suivez» ma demande, Mme la présidente. Vous aurez rétabli l´ordre et redressé une fâcheuse situation née de la haine et de la jalousie», a dit le jeune Temret, le teint net. La mise en examen est décidée.