«Le concept de droit d´ingérence a été affiné et instrumentalisé par les USA pour permettre la régulation des relations internationales conformément à l´unilatéralisme américain». Cette conclusion ressort du présent entretien que le politologue, Salah Mouhoubi, spécialiste des questions sécuritaires et des relations internationales, a bien voulu nous consacrer sur le «droit d´ingérence». L´Expression: Les Etats-Unis se sont arrogé le droit d´ingérence. Comment peut-on expliquer cette nouvelle donne géostratégique? Pr Salah Mouhoubi: Dans le traitement des dossiers de crise d´ordre international, la logique actuelle s´interprète ainsi: tous ceux qui s´opposent aux Etats-Unis d´Amérique sont des terroristes, une menace et/ou des dictateurs. Ils sont donc considérés comme tels par tout l´Occident, mais surtout par les Etats-Unis. Donc, le droit d´ingérence a été érigé en droit tout court par les USA qui se donnent le droit d´intervenir partout et pour n´importe quelle raison. Le droit d´ingérence a aussi connu des évolutions en fonction des mutations mondiales. Ainsi, le droit d´ingérence est donc érigé en règle de jeu et instrumentalisé pour servir des intérêts nationaux, hautement stratégiques. Il est devenu un paramètre important du nouvel ordre mondial. Il est actionné en dehors de tout cadre légal. Il a ainsi permis à l´hyperpuissance (USA) de passer du statut de gendarme, au temps de la guerre froide, à celui de maître du monde, à l´heure actuelle. Cela dit, aujourd´hui, ni l´Assemblée générale des Nations unies et non moins le Conseil de sécurité n´ont autant de pouvoir légal de l´actionner comme les Etats-Unis qui, sur simple décision de leur gouvernement, peuvent envahir des pays souverains et décider de leur avenir. Pour le simple motif que cela sert d´abord leurs intérêts. La guerre en Irak en est une parfaite illustration ainsi que les présentes implications directes et indirectes dans le Monde arabe. Ils ont envahi un pays, sur la base d´un mensonge d´Etat, et en faisant fi de la légalité internationale. On décide de traduire le Président soudanais devant la CPI et, dans le même temps, on ferme les yeux sur les crimes contre l´humanité perpétrés par Israël. Toujours, le principe des «deux poids, deux mesures». Donc, il faut remettre les pendules à l´heure et j´estime, à juste titre, que le droit d´ingérence instrumentalisé fait référence au passé colonial des puissances occidentales, qui ont une longue expérience dans la pratique de la politique de la canonnière et destructive. Durant la présidence Bush, le Conseil de sécurité a façonné une «nouvelle doctrine stratégique des Etats-Unis». Cette nouvelle stratégie demeure seule et unique référence permettant de définir sa politique étrangère. En quoi consiste cette nouvelle doctrine américaine? Les USA ont mis sur pied une nouvelle doctrine énonçant les conditions et les axes du droit d´ingérence des Etats-Unis partout dans le monde. Egalement, je relève que, avec la mise en oeuvre de cette stratégie, les Etats-Unis inaugurent une nouvelle ère, qui légitime leur rôle de gendarme dans le monde. Ce sont eux qui déterminent les critères pour coller aux Etats leurs étiquettes «d´Etats voyous», «l´axe du mal», «Etat intégriste», «Etat dictatorial». Ce sont eux donc qui évaluent la qualité des Etats, de par le monde, selon une échelle des valeurs qu´eux-mêmes ont établie et définie. Et pour accomplir cette mission, ils n´ont besoin d´aucune instance onusienne. Or, suivant cette nouvelle doctrine du droit d´ingérence, le terrorisme international et les attaques frontales contre l´Islam constituent les véritables soubassements, qui singularisent les relations internationales à l´heure actuelle. Ce sont ces vagues de fond qui leur donnent un cours tumultueux et dangereux. Ils sont porteurs de guerres (Irak, Afghanistan, Afrique), de déstabilisation permanente, de l´émergence de nouveaux foyers de tension. Quels sont les mécanismes permettant de museler le droit d´ingérence? Il n´y a qu´une piste. Celle-ci s´insère dans le cadre de la légalité internationale. Une piste qui permet, en outre, d´éliminer l´instrumentalisation d´un concept tronqué après l´avènement du monde unipolaire. Je note aussi que: après la chute du mur de Berlin et la déferlante de la mondialisation, le concept même du droit d´ingérence a été affiné et instrumentalisé pour permettre la régulation des relations internationales conformément à l´unilatéralisme américain. Bien souvent, il a servi, surtout, à masquer et à justifier des stratégies d´intérêt national. La communauté internationale commence à prendre conscience que le droit d´ingérence, tel qu´il est compris par l´hyperpuissance pourrait être un facteur de déstabilisation et de crises majeures. C´est la raison pour laquelle l´ONU, notamment l´Assemblée générale, devrait être la seule institution à décider du droit d´ingérence impliquant une action militaire... Dans ce contexte, la constitution d´une coalition internationale serait plus légitime. Dans les autres cas, le Conseil de sécurité serait plus impliqué pour envisager des sanctions ou décider, par exemple, de l´envoi de forces des Nations unies (comme cela a été décidé pour le Liban). Il est urgent donc de revoir le fonctionnement de la Charte de l´ONU afin que le droit d´ingérence devienne un instrument légal de prévention et de résolution de crises, et non plus une nouvelle forme de répression et de colonialisme. Le terrorisme est-il devenu un nouvel instrument servant des intérêts stratégiques bien précis? En effet, depuis les attentats dramatiques du 11 septembre, la communauté internationale découvre le terrorisme sous son vrai visage. Car, cet événement signifie également qu´il s´agit du début de graves dérives contre une religion dont le nom est «paix». C´est dire que ces attentats ont constitué une aubaine pour les USA d´agir au nom de la lutte contre le terrorisme dans l´importe quel pays du monde. Car, miraculeusement, ces attentats leur ont restitué une donnée stratégique majeure dont l´effondrement de l´Union soviétique, en 1991, les avait privés pendant dix ans: un adversaire. Enfin! Sous le nom de «terrorisme», cet adversaire désigné est désormais l´islamisme radical. Cela autorise toutes les mesures autoritaires et tous les excès. Y compris une version moderne du maccarthysme qui prendrait pour cible, au-delà des organisations «terroristes» elles-mêmes, tous ceux qui s´opposent à l´hégémonie américaine et jusqu´aux adversaires de la mondialisation libérale. L´ancien ministre français des Affaires étrangères en est illustratif. Il est convaincu, dit-il, que cette attaque contre une religion n´est que la partie visible de l´iceberg d´une stratégie d´essence hégémonique.