Coup de tonnerre vendredi dans le ciel d'Ankara avec la retentissante démission collective de l'état-major militaire turc. Ce renoncement semble avoir sonné le glas d'une certaine forme de rapports entre l'armée et le gouvernement turc. Des rapports qui ont connu plus de bas que de hauts depuis l'arrivée aux affaires du Parti pour la Justice et le Développement (AKP), issu de la mouvance islamiste. Ainsi, le long bras de fer, qui oppose depuis des mois l'état-major militaire turc au gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, semble avoir tourné à l'avantage de ce dernier. De fait, ces démissions en bloc de la hiérarchie dirigeante de l'armée turque, marquent la fin d'une époque quand l'armée jouait un rôle politique central, se posant, notamment, en tant que garant de la laïcité. L'armée turque se présentait alors comme assurant la continuité du kémalisme instauré dans les années 20 du siècle passé, par Mustapha Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. C'est tellement vrai, que l'ascendant de l'armée sur les affaires politiques de la Turquie était omnipotent. De fait, entre 1960 et 1997, l'armée turque a renversé quatre gouvernements, en particulier celui de l'islamiste Necmettin Erbakan. Or, Necmettin Erbakan n'était autre que le mentor de l'actuel tout-puissant Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. Ceci aurait pu expliquer cela. Mais cela aurait été simpliste et ne tiendrait pas compte de la réalité d'aujourd'hui des champs social et politique turcs qui ont connu ces dernières années une évolution qualitative sous la direction du parti islamo-conservateur. C'est un fait indubitable: l'AKP, loin d'être l'épouvantail islamiste présenté par l'armée et la droite turques, a réussi en un peu plus d'une décennie à moderniser la Turquie, à la doter d'institutions plus démocratiques et surtout contribué à l'embellie de l'économie turque, dont la croissance à deux chiffres (estimée en début de 2011 à 11%) fait rêver une Europe en pleine déliquescence économique. Ainsi, hier intouchable, l'armée turque n'avait plus cette marge de manoeuvre qui lui a permis, durant des décennies, au nom de la protection de l'héritage d'Atatürk, de régenter la vie du pays, devenant faiseuse de rois. Toutefois, les choses ont commencé à changer dès lors que l'armée a tenté de contrôler le gouvernement islamo-consrvateur, ensuite sa tentative de mettre son veto à l'élection d'Abdallah Gül - chef de la diplomatie du gouvernement d'Erdogan - à la présidence de l'Etat. Dès lors, le bras de fer est devenu inévitable entre le gouvernement conservateur et des militaires qui tenaient à conserver leurs prérogatives et leur droit de regard sur les affaires de l'Etat. Cette dégradation des relations entre l'état-major et le gouvernement, a été marquée par la découverte de complots, ourdis par la hiérarchie de l'armée, auxquels il a été fait échec affirme le gouvernement Erdogan. De fait, nombre des chefs de l'armée ont été arrêtés et se trouvent actuellement emprisonnés et en instance de jugement. Le fait évident est que la Turquie de 2011, n'est plus celle de la fin du XXe siècle, et le parti islamo-conservateur, qui vient de remporter pour la troisième fois consécutive les législatives, a joué un rôle de premier plan dans ces changements. L'AKP se trouve ainsi en position de force, qui bénéficie d'un large soutien de la population qui voit dans Erdogan, celui qui a sorti la Turquie du sous-développement, la propulsant en peu d'années au niveau de puissance économique. Et puis, la géopolitique régionale et internationale a beaucoup évolué tant par l'effondrement du bloc communiste que l'arrivée de nouveaux acteurs sur la scène politique mondiale dont Erdogan, justement, en est l'un des plus actifs. Aussi, en démissionnant, l'état-major militaire turc donne quelque part des fondements aux suspicions de complot.