«on est désormais gouverné comme au temps des fiefs. Que se passera-t-il demain?», dira Abdelkrim Abada à propos de la dérive du pouvoir.pouvoir. Au temps des rois numides et particulièrement sous Juba II, la ville de Tipasa et sa région avaient joué un rôle éminemment complémentaire. Boisée et giboyeuse, la région alimentait la ville, y compris en bêtes sauvages que le roi berbère expédiait vers Rome pour l'animation des arènes. Et la ville nourrissait une grande ambition artistique qui n'a pas déçu. La ville de Tipasa compte aujourd'hui plus d'habitants que dans l'Antiquité, dont les plus chanceux travaillent à Alger. Les marchands de glaces y sont pléthoriques, mais la population ignore encore de nos jours que Juba II, qui fut un helléniste haut de gamme, avait ramené de Grèce des dizaines d'artistes pour embellir la ville et construire le musée, un des plus célèbres du Bassin méditerranéen au XIXe siècle. Mais un musée malchanceux, puisqu'il a été dépouillé de tous ses trésors anciens par les Français dès leur implantation en Algérie à partir de 1830. C'est justement dans cette ville, qui accueillait le chef de l'Etat la veille, que Abdelkrim Abada, membre du comité central du parti du FLN, et Abdelkader Bounekraf, ancien ministre de l'Habitat et également membre du CC, ont eu à passer près de quatre heures à expliquer aux militants et élus de la ville et de la région de Tipasa, ce qu'il en était des résultats du 8e congrès, pour tuer dans les nuisances de propagande semées par les hommes de main du «parti de l'administration». Nous sommes jeudi. Il est 9h. Et la salle de cinéma branchée en off sur un discours de Ali Benflis était déjà pleine. Autour de la salle pas de service d'ordre, hormis celui, discret, de la mouhafadha, composé de quelques jeunes. Comble, la salle s'est mise immédiatement â l'écoute. Pour expliquer le contenu et les conséquences positives des résultats du 8e congrès sur le FLN et l'avenir de l'Algérie, c'est un membre du comité central du parti, venu de Biskra, qui s'est chargé de rendre plus intelligible à la base l'importance de ses résolutions. Car, selon les avis que nous avons recueillis au hasard dans la foule, c'est sur ce sujet en particulier qu'une certaine confusion s'est glissée dans le débat quotidien au point que les militants, soutenus par des sympathisants, ont résolu d'exiger de leurs instances régionales de ramener d'Alger des membres influents des instances supérieures pour remettre les pendules à l'heure. Grâce à ces actions quotidiennes de proximité, les militants ont enfin commencé à saisir la nuance qu'il y a entre le FLN de Benflis, qui projette de laisser les «gens travailler librement» une fois son candidat élu une formule que Abdelkader Bounekraf s'était évertué à rendre «au goût du jour» pour sensibiliser l'esprit d'une salle attentive et studieuse, et le régime actuel qui, selon lui, s'est «emparé de tous les pouvoirs». Bounekraf ne s'arrêtera pas pour autant en si bon chemin. Analyste émérite, il dira pour mettre à la portée du militant de base la clé pour comprendre ce qui pourrait, éventuellement, lui paraître d'une complexité opaque ; il dira en s'interrogeant: «Peut-on vraiment croire qu'un seul homme, aussi génial soit-il, puisse à lui tout seul diriger un pays comme l'Algérie qui est riche de 32 millions d'âme?» Et bien «c'est malheureusement ce qui se fait depuis quatre ans en Algérie au point que l'Etat en est devenu clochardisé». Par exemple, savez-vous que le Président de la République détient un pouvoir illimité de nominations. Pire, «il a le droit de nommer et de dégommer tout le monde et ce, jusqu'au chef de cabinet d'un modeste chef de daïra». Vous vous rendez compte? s'est-il interrogé. Et ce n'est pas tout. Que veut-on nous faire croire? Que c'est en se méfiant d'un peuple, qu'on peut mieux le diriger? Car c'est bien ce qui ressort, en fin de compte, de cette volonté forcenée de ne nommer que les «gens qui lui conviennent». Je peux vous dire une chose que je tiens de mes parents : celui qui ne fait pas confiance au peuple, le peuple le lui rend bien. C'est-à-dire qu'à son tour, il ne lui fait pas confiance. Les propos de Bounekraf et de Abdelkrim Abadda qui, lui, a dirigé les travaux du 8e congrès du début jusqu'à la fin, convergent, et s'imbriquent harmonieusement dans le sens où ils ont tous les deux essayé de faire une démonstration éloquente de ce qui s'est passé au dernier congrès du FLN en mettant en relief «cette volonté du pouvoir de gouverner en ne tenant aucun compte de la population algérienne». C'est terrible, non? Et c'est visible, à l'oeil nu, dira, après, Bounekraf, Abdel-krim Abada à propos de la dérive du pouvoir qui ne saurait être stoppée que par le FLN qui connaît mieux qu'aucune autre formation politique, les ravages causés à notre pays par le régionalisme. Aujourd'hui, dira-t-il, nous avons affaire à un pouvoir qui a imprimé, dès le début du mandat présidentiel, un caractère ultra-régionaliste en focalisant sur le village de M'sirda qui, non seulement, a commencé à fournir du personnel à la présidence et à tous les centres de décision qui composent le vrai pouvoir en Algérie, mais dont ce village de M'sirda risque fort de devenir bientôt la capitale de l'Algérie. Comme on voit, on est désormais gouverné comme au temps des fiefs. Que se passera-t-il demain? Abada a insisté sur le pouvoir personnel qu'il a pris soin de dénoncer vigoureusement avant de ramener son intervention sur la démocratie et le pluralisme qui sont désormais la raison d'exister du parti du FLN et sans lesquels l'avenir de l'Algérie sera inévitablement hypothéqué.