La tactique de faire revenir la presse aux limites qui lui ont été tracées est apparemment activée. Au lendemain de l'énigmatique épisode des bons de caisse découverts dans les bagages du directeur du quotidien Le Matin et de la polémique qui s'en est suivie entre ce dernier et ses accusateurs, quelle sera la suite de ce feuilleton de fin d'été pour ne pas dire de fin de règne? Plus exactement, quelles sont les chances et les perspectives de parution pour ce journal et pour les autres organes de presse touchés par la mesure d'interdiction d'impression avant paiement décrétée par les imprimeries gouvernementales? Aux dires des responsables de ce quotidien, ce dernier sera dès demain sur les étals des kiosques et buralistes de la place d'Alger après paiement évidemment de ses dettes passées. Idem pour les autres journaux touchés par la soudaine interdiction de leur parution qui se débattent comme ils peuvent pour sortir de cette inattendue ornière. Bref, c'est toujours l'incertitude pour ces entreprises de presse qui se voient appliquer du jour au lendemain de nouvelles règles de commercialité qui n'existent dans aucun manuel d'économie de marché de par le monde. En effet, selon le quotidien Liberté - touché lui aussi par la mesure de suspension, mais qui a réussi à paraître, quelques jours plus tard, après avoir épongé rubis sur l'ongle toutes ses dettes passées et présentes - les imprimeries gouvernementales et les autres institutions chargées de suivre les activités de la presse auraient reçu des instructions très précises pour avoir à l'oeil ces journaux dérangeants. Ainsi, selon ce quotidien, il a été ordonné aux imprimeries de l'Etat d'exiger des journaux le paiement de leurs créances avant échéances. Or tout le monde sait que dans toute économie libérale authentique, les entreprises ne peuvent fonctionner que sur le crédit et non pas sur le cash et le débit immédiat ou permanent. Conjuguée aux autres mesures administratives et bureaucratiques de harcèlement de la presse qui ont déjà commencé à être actionnées (visites inopinées des équipes de l'Inspection du travail et de la Cnas, campagne des médias publics pour discréditer ces journaux, surveillance et intimidations des services spécialisés), tout indique que désormais la presse, plus particulièrement les journaux indépendants sera désormais tenue en laisse pour ne pas dire sous une muselière permanente. La récréation en termes de liberté d'expression, c'est-à-dire en termes de révélation des dysfonctionnements de l'Etat ou des écarts de conduite de ses acteurs est-elle finie pour autant? On n'en est pas encore là, mais le silence éloquent des plus hauts responsables du gouvernement, à commencer par la ministre de la Communication, jadis une des personnalités les plus acharnées dans la défense des journaux et des journalistes, prouve que pour les autorités de ce pays, c'est leur thèse qui doit triompher. C'est une affaire purement commerciale. Les journaux doivent payer. C'est tout. Et dans cette logique qu'on veut essentiellement mercantile, le reste, tout le reste, n'est pas vraiment important. Autrement dit, du point de vue des pouvoirs publics, tout le tapage fait autour de cette affaire est un non-événement. Il s'agit de savoir maintenant si cette tactique de faire revenir la presse aux limites qui lui ont été tracées réussira à tenir la route pendant encore longtemps.