Les égyptiens ont compris que les transformations envisagées sont destinées à prendre de court leurs revendications. Le nom d'Omar Souleïmane avait déjà été évoqué pour succéder, en cas de vacance du pouvoir, à Moubarak. Certes la rue ne fléchit pas mais le scénario tunisien n'a pas l'air d'aboutir. L'égypte n'est pas la petite Tunisie même si le pays le plus peuplé du monde arabe réunit tous les ingrédients de la Révolution du Jasmin. L'armée égyptienne est au pouvoir depuis 1952 et depuis cette “révolution des jeunes colonels”, le pays a toujours été dirigé par un militaire. Nasser : un colonel ; Sadate : un maréchal et Moubarak : un général. Et pour ne pas faillir à la tradition, encore deux généraux pour conduire l'après-Moubarak. Omar Souleïmane, le patron des Moukhabarate et, probablement, nouveau dauphin. Ahmed Chafic pour diriger le gouvernement qui, certainement, préparera la transition. Bien que les armées égyptienne et tunisienne soient formées et couvées par les états-Unis, on aura remarqué le traitement différencié de Washington quant aux manifestations populaires qui ont déferlé dans ces deux pays. Si Obama a donné son coup de pouce à la Révolution du Jasmin en ordonnant à la hiérarchie militaire tunisienne de chasser Ben Ali, en égypte, c'est tout le contraire : il faut sauver le soldat Moubarak en organisant une révolution de palais. Le pouvoir ne doit surtout pas se conformer aux revendications de la rue, fussent-elles démocratiques. Evidemment, pour faire bonne figure, Washington n'a pas cessé de vociférer pour que la répression soit humainement acceptable, politiquement correcte. C'est moins grossier que la ministre des AE française lorsqu'elle avait offert au dictateur tunisien le savoir-faire de la police française, mais les mises en garde américaines à l'encontre de la sauvage répression du pouvoir égyptien se sont révélées, avec du recul, des larmes de crocodile. Pour des observateurs, la révolte sans précédent contre le régime de Moubarak est victime d'un complot. La reprise en main du pays s'est décidée dans la nuit de vendredi à samedi, Obama lui-même a avoué être resté une demi-heure en communication téléphonique avec son homologue égyptien pour le convaincre du nouvel artifice. Comme l'armée égyptienne dépend totalement du Pentagone qui lui alloue chaque année 1,5 milliard de dollars, la moitié de l'assistance dévolue à l'armée israélienne, il n'en fallait certainement pas plus pour convaincre sa hiérarchie. Et puis, comme le hasard fait bien les choses, lorsqu'éclata mardi la révolte en égypte, une délégation de militaires égyptiens conduite par leur chef d'état-major se trouvait aux états-Unis. Il est clair qu'au regard de sa place tout simplement géographique, l'égypte reste un enjeu stratégique tant que la paix, une paix juste, ne sera pas établie au Moyen et Proche-Orient. Israël a été le premier à faire part de ses inquiétudes, mettant en avant le danger islamiste imminent avec à la clé l'affiliation entre le Hamas palestinien et les Frères musulmans d'égypte. Quant aux promesses de Moubarak, jugées en deçà des revendications de la population pour la liberté d'expression, la levée de l'état de siège, de meilleures conditions de vie et la lutte contre le chômage et la pauvreté, elles n'ont pas entamé, au cinquième jour, la détermination de la rue, malgré le déploiement de l'armée, le couvre-feu et au moins 92 morts et des milliers de blessés. Les égyptiens ont compris que les transformations envisagées sont destinées à prendre de court leurs revendications. Le nom d'Omar Souleïmane avait déjà été évoqué pour succéder, en cas de vacance du pouvoir, à Moubarak. La nomination du patron des services égyptiens en qualité de vice-président, un poste que Moubarak avait destiné à son fils Gamal à qui il avait estimé confier la clé du pouvoir au courant de cette année, traduit au moins que l'armée était en désaccord sur l'instauration d'un pouvoir dynastique. Reste que les Israéliens ont soufflé : Souleïmane ne leur est pas inconnu, ils ont travaillé directement avec lui et ils ont manifesté leur satisfaction. Les régimes de la région ont également poussé un ouf de soulagement. La contagion démocratique est repoussée. Reste à savoir si la révolte des égyptiens, inédite par son ampleur, sa détermination et ses objectifs, va se poursuivre, et dans ce cas, se posera la question de la cohésion dans la hiérarchie militaire, notamment chez les officiers subalternes et les troupes en contact avec la population. En attendant, la révolte des égyptiens rendra impossible la succession du fils de Moubarak.