Chacune de ses interventions était prétexte à s'esclaffer. Au sommet des chefs d'Etat maghrébins à Marrakech en 1989, qui allait donner naissance à l'Union du Maghreb arabe, les journalistes présents attendaient avec impatience les interventions du colonel Maâmar El Kadhafi...pour se détendre. Chacune de ses interventions était en effet prétexte à s'esclaffer. A l'époque déjà, il paraissait saugrenu de lancer une quelconque idée d'union avec un personnage aussi versatile, tant l'homme avait testé des mariages forcés avec les différents pays arabes, qui avaient rejeté ses avances comme celles d'un amoureux éconduit. A Marrakech déjà, l'une de ses propositions consistaient à inclure dans les statuts que l'UMA serait ouverte aux pays africains ou arabes qui en feraient la demande. En l'occurrence, c'était une manière de creuser une tombe à la toute nouvelle mariée. Le temps a fini par donner raison au bouillant colonel, puisqu'en ce mois de décembre 2003, nous avons assisté à un enterrement en bonne et due forme de l'Union du Maghreb arabe. L'Algérie a-t-elle été bien inspirée de soutenir le coup d'Etat du premier septembre 1969, qui a évincé du pouvoir le roi Idriss, un Senoussi originaire de la ville de Mostaganem, un Algérien pur jus qui avait porté à bras-le-corps la Révolution algérienne, finançant sur ses fonds propres l'achat d'armement, la construction de camps d'entraînement pour les djounoud de la glorieuse Armée de libération nationale. Est-ce ainsi que la patrie récompense les nationalistes et ceux qui ont consenti des sacrifices énormes pour l'indépendance du pays? On en veut pour preuve l'accueil glacial réservé au prince héritier libyen qui fut obligé de rebrousser chemin et d'aller demander asile à l'Egypte. Le fait est que depuis sa prise de pouvoir à Tripoli, le colonel Maâmar El Kadhafi n'a pas manqué une occasion de ridiculiser son pays en menant une politique intempestive, faite de revirement, de coups d'éclat non réfléchis, menant des guerres perdues d'avance, comme celle qu'il a faite à son voisin, le Tchad, finançant des coups d'Etat militaires partout où cela est possible. A l'égard de la cause palestinienne, il a joué les divisions, en opposant les différents mouvements les uns aux autres. Parfois soutenant Nayef Hawatmeh et parfois George Habbache, les liguant contre le chef de l'OLP, Yasser Arafat, distribuant des milliers de dollars pour s'acheter des allégeances et torpiller une union au sein d'une organisation de libération qui en avait besoin. En 1982, lorsque l'armée israélienne avait encerclé Yasser Arafat à Beyrouth, le colonel n'avait rien trouvé à lui conseiller que de mourir au combat, au lieu de lui fournir l'aide matérielle et morale nécessaire en pareille circonstance. Le colonel a manifesté la même inconstance à l'égard de la plupart des mouvements de libération en Afrique, y compris à l'égard du Polisario, qu'il avait beaucoup soutenu à ses débuts, avant de se raviser et de tourner la veste dans une saute d'humeur dont seul lui a le secret. En revanche, le pouvoir algérien a-t-il fait un bon investissement en soutenant le bouillant colonel? La question restera longtemps en suspens, puisque chaque fois qu'il a été en difficulté sur la scène internationale, c'est l'Algérie qui lui a tendu la main pour le faire sortir du bourbier. Lorsque le président Anouar El-Sadate avait fait un mouvement de troupes pour anéantir l'armée libyenne, il a fallu une intervention personnelle du président Boumediene pour lui éviter la débâcle. Lorsque les Américains avaient bombardé le palais d'El Azizia, ce sont encore les Algériens, dont les radars avaient détecté les avions américains, qui ont averti El Kadhafi, lui permettant de se mettre à l'abri, alors que sa fille fut victime du raid. L'Algérie n'a jamais négocié son soutien indéfectible au colonel libyen toutes les fois qu'il a eu des démêlés avec les puissances internationales, comme les Etats-Unis, la France ou l'Angleterre. En conditionnant la tenue d'un sommet de l'UMA par l'élection d'un nouveau président algérien, El Kadhafi vient non seulement de s'ingérer dans les affaires intérieures algériennes, mais il prétend aussi nous donner des leçons de démocratie, lui qui est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat, qui n'a jamais organisé de vote libre dans son pays et qui ne se maintient au pouvoir que par la ruse et la répression de toute opposition politique.