En bonne femme de droit, la juge de Bir Mourad Raïs a envoyé les trois médecins inculpés devant un expert! Inès Kouhil-Boughaba, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger) s'était excellemment préparée à entendre les médecins de l'hôpital poursuivis pour «erreur médicale» sur un enfant présentant une grave maladie. Le papa du bébé était dans tous ses états. Il ne tenait pas place. Il est venu réclamer justice étant sûr de la faute des médecins qui étaient raides. Il y avait aussi beaucoup d'avocats entre ceux qui étaient constitués et les curieux de voir les comportements des «gens du droit» face aux «gens de la science». Inès Kouhil, la juge avait prévenu: «Nous sommes ici pour entendre toutes les parties et dans l'intérêt de la recherche de la vérité. Et la vérité ne peut être dénichée qu'en s'éloignant de la passion, de la rancoeur, de la rancune et en abordant le délit avec sérénité et surtout en ayant en tête la présomption d'innocence.» Elle ajoute en ouvrant grand les yeux, qu'il n'est pas question pour le tribunal d'aller chercher des «poux» dans la tête des inculpés «qui ne peuvent voir leurs gestes médicaux être appréciés que par leurs pairs, seuls habilités à juger.» Alors que le papa de la victime ne tient pas en place (et cela se comprend et se pardonne sans invitation), la présidente prévient que le tribunal n'admettra aucun écart ni dérapage surtout qu'il s'agit du décès d'un enfant. Les médecins-inculpés plutôt agacés par les poursuites comprennent alors que le tribunal est décidé à aller au bout de son «instruction» et prendre la bonne décision au moment opportun. Et d'ailleurs, le verdict que prononcera Kouhil, quelques jours plus tard, fixera tout le monde en décidant d'envoyer le trio de médecins inculpés devant un expert qui est très bien placé, lui, pour juger ses confrères. C'était là le voeu de Mourad Hellal, le procureur qui avait souhaité que le tribunal aille vers ses demandes. Pour la partie civile, Maître Abdelaziz Djedaâ, a plutôt fait le procès du secteur de la santé dans son tort. L'hygiène, son absence aura été sur «sabre au clair». Mettant en avant la compétence des inculpés, il s'est aussi acharné sur les mauvaises conditions dans lesquelles on soigne les malades, tous les malades. L'hôpital de Beni Messous a aussi été mis à l'index par le papa d'un bébé atteint, selon les médecins poursuivis, d'un mal incurable, étant même en voie d'arriver au stade final, qui n'a pas apprécié, mais alors pas du tout la prise en charge jugée catastrophique et mortelle de son fils. A la barre, il a tout mis sur le dos des médecins et techniciens de la médecine leur imputant même l'insalubrité ambiante qui sévit dans pratiquement tous nos établissements hospitaliers. «Trois millions de dinars», a-t-il réclamé pour le préjudice. Mourad Hellal, ce procureur de l'audience qui a eu l'occasion de poser trois questions, histoire de guider le tribunal vers un verdict exemplaire qui doit faire réfléchir ceux qui ont entre les mains, la vie des patients, a réussi à monter un réquisitoire où il est question, non pas d'incompétence, mais de laisser-aller, de laxisme, de l'environnement des malades hospitaliers: «Il n'est pas question pour le parquet de juger des médecins dont l'un d'entre eux traîne derrière lui plus de quarante ans d'exercice de la médecine. Non! Loin de là! Ce que le ministère public reproche, c'est la façon de faire avec les malades avant, pendant et après les soins prodigués» ̧ a-t-il marmonné avant de réclamer ce qui est censé, plus que raisonnable car il s'agit de médecins qui ne peuvent être «jugés» que par leurs pairs. Ici, le représentant du ministère public, avec sa maigre expérience, a voulu signifier à la jeune présidente que tout compte fait, ces médecins ont fait leur boulot comme ils avaient appris à le faire. Inès Kouhil, la président de la section correctionnelle du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger), a refusé que l'on tombe sur le travers de ce qui est reproché. Maître Abdelhamid Toualbi Ethaâlibi, pour les inculpés, regrette que ce dossier concerne le cancer, la leucémie, ces deux «épouvantails» de la médecine. Il revient deux minutes sur ce qu'ont fait les médecins et le professeur pour le bébé disparu. «Cet enfant n'aurait jamais guéri tant le stade était avancé!», avait souligné le professeur et les coïnculpés qui ont souffert le martyre sachant que la jeune juge avait un dossier où le papa du jeune décédé était venu réclamer justice même si son conseil a refusé de s'en prendre aux professionnels du sensible secteur, qu'est la santé, préférant encore une fois faire le procès de la santé dans son tout. Il est vrai que Kouhil Inès s'était aperçue dès le début que la douleur du père de l'enfant mort, était telle qu'il ne pouvait se calmer, préférant parler tout seul tombant net sur le dos des médecins leur reprochant, outre l'insalubrité des lieux, le laxisme et le laisser-aller ayant mené à l'infection, un à un, les trois inculpés, s'étaient vaillamment défendus poussant souvent la juge à calmer les ardeurs des uns et la fougue du père qui s'est excusé autant de fois qu'il s'était emballé contre ceux tenus pour responsables de la mort du fiston amèrement reçue et digérée... La magistrate a réussi finalement à mener à bien les débats, des débats saccadés, hachurés, escamotés lors des élans effectués dans la douleur du pauvre papa que rien, ni personne n'a réussi à apaiser. Même à l'issue du procès dans la salle des pas perdus, il ne comprenait pas la position de la juge: «Elle m'a empêché de vider mon coeur, de crier mon désespoir, et d'avoir les tripes dénouées juste après avoir dit les quatre vérités aux médecins à qui je ne pardonne rien!» En attendant l'avis de l'expert, les trois médecins sont revenus à Beni Messous servir les malades.