La place publique tend à devenir une particularité nationale. Décidément cette forme d'expression assez particulière que sont les émeutes où des citoyens investissent, au mépris de toute autorité, la place publique, tend à devenir une particularité nationale. Cette expression, parfois extrême, de revendications justifiées n'a effectivement épargné ni la capitale ni les régions les plus reculées de l'arrière-pays. Les toutes dernières sont celles ayant eu lieu à Béni Ounif, localité tranquille du sud-ouest du pays, où des citoyens revendiquaient, le 31 janvier dernier, en coupant la Route nationale Béni Ounif-Oran, en présence du ministre de l'Intérieur sur les lieux afin qu'il prenne note de leurs doléances concernant les problèmes en suspens dans leur localité. Citons celles de Aïn Defla où un mouvement de protestation spontané est survenu après la décision des transporteurs privés d'augmenter la tarification sans consultation préalable de la direction des transports. Par ailleurs et récemment, de grosses agglomérations telles que Khémis Miliana, El Attaf ont, également, pour leur part montré des signes de mécontentement, rappelant étrangement de spectaculaires mouvements de foule ayant émaillé la période préélectorale des législatives de 2002. Même si parfois ces sursauts populaires ont pour origine de simples maladresses de l'administration ou quelque injustice subie à l'instar du syndrome de Aïn El Fekroun, cette localité reculée de l'Est algérien ou la non-admission aux urgences d'une femme enceinte au service des urgences a suscité l'ire et l'émoi de la population. Ce sont autant de faits qui rappellent, entre autres, ces dizaines de personnes qui, pour revendiquer une meilleure alimentation en eau potable, des logements plus équitablement distribués, une prise en charge en soins, toujours à l'approche d'événements politiques majeurs ou le simple passage d'une délégation officielle. En somme, un taux de manifestations populaires record a été enregistré ces trois dernières années, alimentées qu'elles sont par d'innombrables sources de mécontentement quand ce n'est pas la pure manipulation partisane qui s'en mêle, parfois à juste titre. En recourant à la démonstration dans l'espace public, l'opinion, à travers émeutes et manifestations, laisse entendre qu'elle ne veut pas être seulement institutionnalisée à travers les suffrages et que l'on se rappelle d'elle à l'occasion d'anonymes votes et autres référendums. En fait, elle (l'opinion) demande considération et respect de la part des gouvernants et désire être identifiée comme acteur politique à part entière, avancent de doctes analyses. Mais il est patent qu'une crise de confiance en les moyens traditionnels ou conventionnels de l'expression que sont les médias lourds voire les journaux et autres relais sociaux softs, demeure évidente. Une population qui aspire à en finir avec la souffrance quotidienne et à sortir du tunnel n'a souvent d'autre alternative, pour faire entendre sa voix, que celle de recourir à des formes d'expression extrêmes. Ce qui traduit par ailleurs une prise de distance par rapport aux partis politiques nés avant ou après la mégamanifestation d'octobre 1988. même si des courants particuliers appellent à rejeter catégoriquement en des moments bien choisis de «fausses échéances pour de fausses solutions». C'est que, sorti d'une longue période de sevrage démocratique que d'aucuns dénomment les années de plomb, le moindre mutisme des pouvoirs publics est vite interprété comme une attitude cynique face aux demandes de la population et d'une jeunesse révoltée, ce qui engendre souvent cortège de symptômes et autres syndromes dont le théâtre est la rue. Il faut cependant noter que la société n'est pas dupe, et sait les limites d'une presse censée porter ses espoirs et ses attentes, c'est pourquoi elle déjoue souvent les canaux conventionnels, à leur tour réprimés lors d'attaques récurrentes contre la presse et le pluralisme ; c'est pourquoi aussi, avec tous les cadres démocratiques d'expression pacifique et démocratique, seul le langage de la rue demeure d'actualité et surprend par sa vivacité. Dès lors, l'émeute devient, pour la population, le seul moyen d'exprimer sa révolte, interpellant de la sorte et à chaque fois l'intelligence du pouvoir qui doit plus que jamais se débarrasser d'anciens réflexes de répression. D'autant plus que ces manifestations ne sont jamais menées en vase clos et peuvent être, à leur tour, nourries par les revendications du monde du travail, les syndicats autonomes, les partis politiques qui ne partagent pas la même vision du pouvoir en Algérie, les militants des droits de l'Homme... Tant qu'un véritable dialogue entre les forces politiques et sociales et le pouvoir n'est pas engagé, tous les scénarii demeurent probables. L'ouverture du champ médiatique en garantissant l'accès libre et équitable aux médias lourds, notamment la télévision, la séparation des pouvoirs dont l'indépendance de la justice sont, aux yeux des observateurs, le seul garant d'une meilleure communication entre gouvernants et gouvernés et pour une véritable symbiose oeuvrant en faveur des Algériens en Algérie.